Antinoüs : Hadrien et « l’amour grec »

L’amour d’une vie
 

La campagne de Judée se distingua dans un règne qui fut considéré, pour la plupart des contemporains, comme paisible. De manière générale, Hadrien préférait l’amour à la guerre. Et l’amour de sa vie fut Antinoüs, un jeune garçon qu’il aurait rencontré lors d’un voyage en Bithynie vers l’an 124. Antinoüs avait alors 14 ans et Hadrien avait passé la quarantaine. Des siècles auparavant, les Grecs colonisèrent la Bithynie, située dans le nord-ouest de la Turquie, et Antinoüs lui-même était d’origine grecque ; or, Hadrien avait toujours été un fervent admirateur de la culture grecque. En réalité, on le surnommait Graeculus (« petit Grec ») lorsqu’il était jeune. Il était un passionné de la poésie, de l’histoire et de la philosophie grecques. Il semble qu’il aimait par-dessus tout « l’amour grec ».

Il n’était pas inhabituel, bien entendu, qu’un Romain ait des relations sexuelles avec des jeunes et des garçons, ce qui n’était associé à aucune stigmatisation. Ces relations rudimentaires n’étaient, en règle générale, pas considérées avec beaucoup de sérieux, mais de façon assez neutre comme un penchant naturel des hommes virils. Elles ne représentaient en aucun cas une sexualité distincte qui empêcherait le mariage ou le sexe avec des concubines.

Hadrien, cependant, était tombé sous le charme romantique de la pédérastie de la Grèce classique, dans laquelle l’amour entre un homme et un jeune garçon était idéalisé comme l’amour entre l’expérience et la perfection pure. Hadrien célébrait son amour pour Antinoüs : il l’affichait publiquement et le romançait. Il en fit sa raison de vivre d’une manière qui était vue comme très anti-romaine.

Hadrien était marié à Vibia Sabina (Sabine), sa troisième cousine, mais leur union n’a jamais semblé être un mariage heureux. Ils n’eurent bien entendu aucun enfant. Sabine aurait d’ailleurs eu une relation avec le mari d’une de ses esclaves. En l’absence de témoignages concernant de possibles relations avec des femmes du côté d’Hadrien, on peut facilement en conclure qu’il n’était simplement pas intéressé par l’amour hétérosexuel.

Un fidèle compagnon

 

Même s’il n’a pu être au début de leur relation plus qu’un joli page, Antinoüs devint bientôt le fidèle compagnon de l’empereur et l’accompagna dans tous ses voyages au cœur de l’Empire. Ils furent inséparables pendant six ans, jusqu’à leur voyage en Égypte en 130, durant lequel Antinoüs fut retrouvé noyé dans le Nil. Personne ne sut comment ni pourquoi, cela arriva. Des spéculations entourent encore aujourd’hui la nature de sa mort : s’agissait-il d’un accident, d’un assassinat, d’un suicide ou d’une sorte de rite sacrificiel ?

Hadrien eut le cœur brisé : il ne se remettrait jamais de la perte d’Antinoüs. Il donna l’ordre qu’Antinoüs soit déifié. Le culte du dieu Antinoüs s’intensifia de jour en jour, et des statues du très beau jeune homme furent retrouvées dans tout l’Empire. Hadrien en éleva principalement, et ce fut un choix assez approprié, sur le lieu de naissance d’Antinoüs, la Bithynie, et à Athènes, la capitale classique de l’« amour grec ». Un grand sanctuaire fut également érigé à Antinoé, la ville fondée par Hadrien sur les bancs du Nil, non loin du lieu où son jeune amant trouva la mort. Antinoüs possédait aussi une place dans les cieux. En effet, Hadrien donna le nom de son amant à un amas d’étoiles, mais il cessa d’être utilisé lorsque les astronomes firent une révision des constellations en 1930.

« L’AMOUR GREC »

 

L’homosexualité eut un rôle à jouer dans de nombreuses grandes cultures guerrières du monde entier. Des hommes plus âgés entretenaient des relations avec de jeunes recrues dans le cadre de leur initiation dans le corps de l’armée ainsi que de l’intégration de ses valeurs martiales.

Voilà comment l’homosexualité devint partie intégrante de la culture grecque classique et dans la tradition épique d’Homère. Avec le temps, cependant, l’homosexualité finit par dépasser la sphère militaire. L’homme plus âgé jouait un rôle dans l’éducation morale et intellectuelle du jeune, en le préparant pour qu’il trouve sa place en tant qu’adulte dans la société. La relation sexuelle était centrale dans ce processus. Les sentiments de l’adolescent envers la société à laquelle il appartenait ne s’éveilleraient que dans l’intensité de son amour pour son mentor. Par ailleurs, l’amour de l’homme plus âgé pour son protégé montrait son amour de la perfection que ce jeune garçon incarnait et qui se reflétait surtout par sa beauté et son innocence morale.

En outre, les philosophes grecs comme Socrate, Platon et Aristote écrivirent abondamment (avec inspiration) sur l’amour entre professeur et étudiant, mais ils s’abstinrent de mentionner la délicate réalité de son expression physique. Platon, en particulier, fit l’éloge d’une passion pure, chaste et intellectuelle, appelée aujourd’hui « amour platonique ».

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