C’est fragile, peu fiable et capricieux mais on le garde !

 

Nicolas Lebel est né le 18 août 1838, à Saint-Mihiel, dans la Meuse. Son origine sociale aisée lui a permis de suivre des études et d’obtenir son baccalauréat.

 

Intéressé par la carrière militaire, il intègre l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr en 1855 (promotion « Du Prince impérial », 1855/1957). En 1857, il rejoint le 58e régiment d’infanterie de ligne avec le grade de sous-lieutenant. Il reste dans ce corps de troupe pendant plus de dix années consécutives et la guerre de 1870 le trouve toujours au 58e de Ligne, comme capitaine et commandant de compagnie. Il combat avec courage, mais, le 1er septembre, il subit le sort de toute l’armée de Sedan et part en captivité en Allemagne.

 

Libéré après le traité de Francfort, le capitaine Lebel retrouve un commandement au 66e de Ligne (Tours). Il y vit les années de réorganisation de l’armée française et d’intense réflexion, après le choc qu’a été la défaite de 1870/1871. C’est avec sa nomination au grade de chef de bataillon (en 1876) que sa carrière, jusqu’alors très classique, prend un tournant important. Devenu chef d’un cours de tir peu après sa promotion, il se passionne en effet pour l’armement d’infanterie. Ses compétences en la matière sont vite reconnues et Lebel se taille une grande notoriété dans une armée avide d’innovations et soucieuse de mettre en valeur ses talents.

 

En 1883, le ministre de la Guerre (le général Thibaudin) lui confie la direction d’une commission de réflexion sur le fusil du fantassin. À cette époque, le soldat français est armé du fusil Gras, du modèle 1874 modifié 1880. C’est une bonne arme, robuste et fiable, mais dont la conception est déjà ancienne puisqu’elle n’est qu’une extrapolation du mécanisme de 1866 du célèbre Chassepot de la guerre franco-prussienne. Dépourvu de chargeur, le Gras ne permet qu’un tir lent, avec rechargement après chaque coup. Or, les guerres les plus récentes (notamment la guerre russo-turque de 1877) avaient démontré la nette supériorité d’un tir rapide. En outre, il convenait de rattraper le retard français sur les armées étrangères. L’Allemagne notamment, et surtout l’Autriche-Hongrie et son système Kropatschek, développait de nouveaux fusils à chargeur et tir rapide, dont l’utilisation pouvait peser lourd sur un futur conflit…

 

La mission dont le commandant Lebel se trouvait investi était donc à la fois lourde et vitale pour la modernisation de l’infanterie française. Il lui fallait concevoir un remplaçant au fusil Gras, qui soit tout aussi efficace que fiable et aussi peu coûteux que possible… Entre 1883 et 1884, Lebel et sa commission étudient de nombreux modèles de fusils, proposés tant par des armuriers français qu’étrangers.

 

Sur la cinquantaine d’armes testées, aucune ne répond vraiment aux contraintes définies par l’état-major de l’armée. Il faut donc reprendre le problème à zéro et créer un fusil de conception toute nouvelle. Une nouvelle Commission des Armes à répétition est donc mise sur pied, toujours sous le commandement du chef de bataillon (puis lieutenant-colonel) Lebel. Elle étudie, teste, compare et, finalement, adopte le projet de fusil proposé par les colonels Gras et Bonnet. Cette arme possède un magasin tubulaire sous le canon, fortement inspiré du système Kropatschek. Son calibre de 8 mm est réduit, par rapport à celui du fusil Gras (11 mm), et ses cartouches, plus légères (15 grammes au lieu de 25) utilisent une poudre sans fumée (inventée entre 1884 et 1885). Un tireur expérimenté peut tirer jusqu’à une douzaine de coups par minute, ce qui représente un progrès considérable par rapport aux trois ou quatre coups du Gras. D’un poids raisonnable (4,180 kg), l’arme s’avère de qualité. Une fois rendu le rapport avec avis favorable de la commission, la fabrication en série peut commencer et, en 1886, les premiers régiments d’infanterie en sont dotés.

 

Ce nouveau fusil, officiellement baptisé fusil modèle 1886 (puis 1886/93 après quelques modifications adoptées en 1893), reçoit vite le nom de « fusil Lebel ». Il représente un progrès considérable, par rapport au fusil Gras, mais il ne manque pas de défauts. Un mécanisme fragile, un magasin peu fiable, un fonctionnement parfois capricieux… en sont les principaux. En outre, après l’adoption par l’Allemagne du Mauser 1898, il se retrouve carrément dépassé. Mais après avoir favorisé l’innovation, l’armée française se montre frileuse pour les progrès et se contente de ce qu’elle a… En 1914, le fusil Lebel est toujours l’arme de dotation de toute l’infanterie. Il le restera encore longtemps, et même après la guerre, malgré l’adoption du fusil 1907/15.

 

 

Après le succès que représente l’adoption de « son » fusil, Nicolas Lebel est nommé colonel le 13 janvier 1887. Il devient ainsi chef de corps du 120e régiment de Ligne, alors en garnison à Sedan. Mais cette vie ne devait pas durer. En 1890, Lebel obtient sa mise à la retraite pour raisons de santé. Atteint d’une grave maladie cardiaque, il ne pouvait plus assumer ses responsabilités. Redevenu civil, il est nommé inspecteur du Trésor et obtient un poste dans la ville de Vitré. Mais la maladie ne lui permet pas de faire ses preuves dans ses nouvelles fonctions, puisqu’il décède à Vitré le 6 mai 1891. Il était commandeur dans l’Ordre national de la Légion d’honneur.

 

Quel curieux destin, en effet, que celui de cet homme qui, sans l’avoir vraiment cherché, a laissé son nom à la postérité ! Quel soldat de la Grande Guerre, fût-il Allemand, n’a pas prononcé son nom ? Les Poilus avaient-ils de plus fidèle compagnon que leur « Lebel » ? Combien d’entre eux savaient vraiment à qui appartenait ce patronyme ? Aucun probablement. Triste gloire, en vérité…

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