La Grange, l’histoire de la chanson qui parle d’un bordel texan

La Grange est le premier classique du trio texan. On peut résumer en quelques mots : Il y a un bruit qui court dans cette ville du Texas, à propos d’une boîte à la sortie de La Grange, un bled de moins de 5000 âmes qui cuisent sous le soleil au bord du fleuve Colorado. Y a plein de jolies filles, on m’a dit que c’était bien, il te suffit d’un billet de 10, c’est plein tous les soirs, enfin c’est ce que j’ai entendu… Le tout, après une intro piquée au Boogie Chillen de John Lee Hooker, et entrecoupé de How How piqués au Boom Boom du même John Lee Hooker

Le bouge en question s’appelle le Chicken Ranch, de son vrai nom le Edna’s Fashionable Ranch Boarding House. Le Chicken Ranch, comment vous dire ? Le Chicken Ranch est à La Grange ce que le Parc Astérix est aux Hauts-de-Franec, l’attraction du coin, la capitale locale du tourisme… Pensez : un claque de légende, né au début du 20e siècle et repris de main de maîtresse au début des années 50 par une ancienne salariée, Edna Milton. À cette époque, elles turbinent à 16 dans la baraque. Les week-ends, ce sont des files comme on en reverra dans les années 70 devant les boulan­geries en Pologne. Principalement des jeunes et des militaires. Une base voisine affrète carrément un hélico pour convoyer la bleusaille excédée par les cloques aux mains. L’endroit où les pères amènent leur fiston pour le premier va-et-vient, leur pre­mier concerto de sommier. La moitié du Texas a été dépucelée dans ce gourbi… alors que la prostitution y est officiellement interdite !

Le Chicken Ranch est un établissement bien tenu, les filles passent chaque semaine une visite médicale, elles dépensent leur argent à La Grange. Au moment où il a fallu construire un hôpital, Edna Milton a été la première et la plus généreuse donatrice. Dans une interview au magazine Spin en 1985, Dusty Hill, le bassiste des ZZ Top, se souvient : « J’y suis allé quand j’avais treize ans. Plein de mômes au Texas y sont allés, au moment de devenir des hommes… Les gros mots étaient interdits. Tout comme l’alcool. Et la patronne, Miss Edna n’avait pas l’air commode. Ça n’empêchait pas les ouvriers des champs de pétrole et les sénateurs de s’y retrouver. »

En 1973, quelques semaines à peine après la sortie de la chanson, un journaliste pisse-vinaigre du nom de Marvin Zindler croit tenir l’affaire du siècle : le bordel serait l’un des maillons d’une grande organisation criminelle. Il mène l’enquête, et malgré les parfaits états de service de la matrone, le Chicken est contraint de fermer ses portes. Dusty Hill, toujours : « Cet endroit était ouvert depuis presque cent ans et voilà qu’un (biiip) décide de faire une enquête. Il remue tellement de (biiip) que la boîte ferme… Personne ne voulait qu’elle ferme, c’était comme un site historique. Bref, on a écrit cette chanson ; elle est sortie et même pas trois mois plus tard, ça a fermé. Ça m’a cassé les (biiip). Si cette maison a tenu cent ans, c’est qu’il y avait bien une raison non ? ». Le pauvre Zindler ne l’a pas emporté au paradis : le shérif qui a dû fermer le ranch à contre-coeur lui est tombé sur le paletot : il lui a brisé deux côtes et arraché sa perruque en la brandissant comme un scalp ! On sait rigoler au Texas !

Retour en haut