Louis Einricht : l’homme qui arnaqua Henry Ford

En 1916, les temps sont durs, la guerre fait chaque jour de plus en plus de morts et de destructions sur le sol européen. Si les États-Unis sont épargnés sur leur territoire par ce fléau, certains produits commencent à manquer, ce qui a pour conséquence d’en augmenter le prix : au plus c’est rare, au plus c’est cher. Et parmi ces pénuries, celle de l’essence n’est pas la moins importante. Si pour tous il s’agit là d’une réelle calamité, pour l’esprit de Louis Einricht, cette pénurie va être une opportunité.

 

 

L’homme n’est plus tout jeune : à soixante-dix ans, sa carrière est déjà derrière lui. Enfin, c’est surtout en abusant de la crédulité de ses concitoyens qu’il avait pris l’habitude de gagner sa vie. Alors, lorsqu’il convoque, chez lui, quelques journalistes à une conférence de presse, c’est plus l’étonnement et la curiosité qui les poussent à faire le déplacement que la personnalité de l’homme qui les a réunis. Et ils ne vont pas faire le déplacement pour rien. L’annonce est simplement hallucinante, l’homme face à eux vient de leur révéler qu’il venait de mettre au point une solution liquide permettant de faire fonctionner un moteur aussi bien que l’essence ne le fait, si ce n’est qu’en plus elle coûte trente fois moins cher. Et pour faire la démonstration de ce qu’il affirme, il se prêta à une petite expérience.

 

Henry Ford

 

Il invita les journalistes à le suivre dans la petite cour qui agrémente son habitation et, à la manière des magiciens lorsqu’ils dévoilent au public le résultat d’un de leurs tours, fit apparaître devant son audience une voiture préalablement dissimulée sous un drap. Il fit un tour du véhicule et ouvrit l’accès à son réservoir. Sortant d’une de ses manches de longues baguettes de carton, il invita deux, trois journalistes à sonder le réservoir et à chaque fois, les baguettes ressortaient on ne pouvait plus sèches. Il demanda à d’autres de venir inspecter de plus près le véhicule, histoire de vérifier l’absence de toute supercherie, qu’il n’y avait bien qu’un et un seul réservoir et qu’il résonnait bien creux lorsqu’on tapait dessus.

 

Le vrai tour de magie pouvait alors commencer. Il versa dans un récipient un fond d’un produit verdâtre. Puis il sortit, d’on ne sait où, une carafe d’eau qu’il fit circuler parmi les journalistes pour qu’ils s’assurent que c’était bien là de l’eau. Une fois la vérification faite, il en versa sur le liquide vert et mélangea le tout. Il se dirigea vers l’ouverture du réservoir et y déversa l’étrange potion. Ayant remarqué que, parmi ses hôtes, un semblait rester sur la défensive, il l’invita à s’asseoir derrière le volant et une fois le sceptique en place, il fit démarrer la voiture et invita son passager à faire le tour du pâté de maisons et à son retour, une bonne démonstration valant tous les meilleurs arguments du monde, c’est convaincus que l’essence vivait ses dernières heures qu’ils retournèrent dans les locaux de leurs journaux respectifs et tous rédigèrent un article encensant le génie de Einricht et des vertus de son produit.
Les réactions ne se firent pas attendre : d’un peu partout, on voulait rencontrer cet inventeur de génie, lui faire une offre impossible à refuser, s’associer à lui… Mais Einricht semblait s’être évaporé avec son produit. C’est que notre vendeur de miracles, vu son âge, n’avait plus le temps de jouer avec le petit poisson, ni même d’ailleurs avec le gros. Non, pour ce qui devait être le dernier et le plus beau coup de sa carrière, c’est de la baleine qu’il voulait pêcher et son Moby Dick à lui avait un nom : Henry Ford.

 

 

Et comme pour ce genre de pêche, il faut savoir être patient, attendre de longues heures à douter, parfois désespérer, puis lorsqu’on se dit qu’on va rentrer bredouille apparaît une masse noire au fond des eaux, et monsieur Ford se présenta en personne chez Einricht. Il n’était pas venu les mains vides, et l’inventeur se vit offrir des mains du grand patron une nouvelle voiture et surtout un très joli chèque en guise d’avance sur une somme encore plus grosse qu’il promettait pour acheter la recette du produit magique et surtout qu’il ne devait pas se tracasser, le tout serait officialisé le plus légalement du monde par un contrat.

 

Le contrat signé, Einricht salua tout le monde et commença à profiter de sa retraite dorée. Lorsqu’on fit analyser la fameuse formule, il s’avéra qu’en effet elle pouvait bien faire fonctionner un moteur, mais il y avait deux petits problèmes. D’une part, les produits utilisés coûtaient au moins le double de l’essence et surtout, la solution avait une propriété qui ne s’accordait pas bien avec les moteurs : elle était corrosive.

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