Néron au balcon, Rome au tison…

Le Grand Brasier
 

En l’an 64, le cœur de Rome fut ravagé par un terrible incendie. Le centre de la ville brûla pendant six jours et sept nuits, et ses habitants furent contraints de trouver refuge dans les cimetières, terrés dans les tombes de pierre. Nombreux furent ceux qui étaient persuadés que Néron lui-même avait été responsable de l’incendie, voulant faire de la place pour ses projets de réaménagement de la ville — un autre de ses vices. Certains témoins, de respectables patriciens, affirmèrent qu’ils avaient vu des esclaves quitter le palais avec des torches et du petit bois, mais nul n’aurait osé tenter d’arrêter les hommes de l’empereur.

 

Ce fut un incendie gigantesque. Des quatorze quartiers de la ville, seuls quatre en réchappèrent : sept furent détruits, trois furent complètement rasés. Rome était vulnérable aux incendies de cette ampleur. En effet, ses édifices et les palaces romains étaient peut-être splendides, mais, pour ce qui est de l’architecture résidentielle ordinaire dans les zones urbaines, les Romains étaient plutôt du genre à construire les immeubles les plus grands possible en dépensant le moins possible : les insulae (littéralement : les « îles ») étaient de hauts bâtiments, généralement en bois, qui pouvaient comporter jusqu’à neuf étages, mais la construction laissait souvent à désirer. On trouvait souvent un commerce au rez-de-chaussée et des logements en location bon marché au-dessus (plus on était haut, moins on payait cher) ; une insula pouvait abriter jusqu’à quarante personnes.

 

 

On estima le bilan de ce brasier infernal à plusieurs centaines de morts et des milliers de sans-abri. Fous de terreur et de chagrin, certains se jetèrent dans les flammes. D’autres erraient sans but, frappés de stupeur. Des bandes de pillards rôdaient dans la ville, passant à tabac tous ceux qui essayaient de les arrêter. Néron, lui, fut tout sauf traumatisé. Notoirement, il monta sur le toit du palais, d’où la vue était plus belle, et se mit à chanter, grattant joyeusement les cordes de sa lyre. La chanson qu’il interpréta, La Chute de Troie, racontait la destruction d’une autre grande cité, ce qui constituait un choix du plus mauvais goût.

 

Cependant, il nous faut être honnêtes et préciser que l’historien romain Tacite décrit une réaction totalement différente de Néron : d’après lui, l’empereur fut aussi traumatisé que son peuple par l’incendie. Il était hors de la ville lorsqu’il apprit la nouvelle et revint à Rome aussi vite que possible pour prendre la tête des opérations de sauvetage. Tacite discrédite la version du « musicien sur le toit », tout en admettant que cette rumeur soit largement répandue à l’époque. C’est parce que tant de gens y ont cru, dit-il, que Néron a eu tant de mal à gérer cette catastrophe.

 

 

Folie monumentale
 

Les braises étaient encore rougeoyantes quand Néron imposa des taxes élevées à la ville et aux provinces afin de financer ses projets de construction, ce qui ne joua pas en sa faveur. L’initiative de l’empereur sembla même confirmer la théorie selon laquelle il avait tout planifié, d’autant qu’il entreprit bientôt de se faire construire une splendide demeure : la Domus aurea, ou Maison dorée, mi-palais, mi-villa de campagne construite au cœur de la capitale.

 

Ce fut une folie monumentale de la part de l’empereur, une folie dont témoignait dès le premier coup d’œil l’immense vestibule, dans lequel se dressait une statue colossale de Néron lui-même. Derrière une triple colonnade longue de près d’un kilomètre s’étendait tout un lotissement dont les bâtiments étaient disposés comme dans une ville miniature, autour d’un lac artificiel doté de plages de sable fin et de criques comme une petite mer. C’était un véritable monde en modèle réduit : on y trouvait de vastes espaces verts, des pâturages, des forêts, des vignobles, des champs cultivés. À l’intérieur, les bâtiments regorgeaient d’or et de joyaux. La salle de banquet était couronnée d’un dôme qui tournait sur lui-même, modifiant constamment la lumière tandis que des fleurs et du parfum jaillissaient de jarres spéciales pour tomber doucement sur les convives.

 

 

Et quelle fut la réaction de Néron lorsqu’on vint lui dire que ce pays merveilleux était prêt à être habité ? Il allait enfin pouvoir vivre comme un être humain, déclara-t-il. On ne sera pas surpris d’apprendre que la Domus aurea fut très controversée, à tel point que les empereurs qui succédèrent à Néron ne voulurent pas (ou, à vrai dire, n’osèrent pas) l’occuper. Les objets et matériaux de valeur en furent enlevés et le reste fut abandonné, voué au délabrement. Le lotissement fut démoli ; on reconstruirait plus tard un autre édifice à son emplacement.

 

L’ampleur du nombrilisme dont Néron avait fait preuve occulta inévitablement les travaux de reconstruction plus judicieux qu’il entreprit à Rome. L’empereur fit reconstruire les quartiers résidentiels détruits par l’incendie selon de nouveaux plans, plus rationnels, avec des rues plus larges afin d’éviter ou de contenir la propagation du feu. Les bâtiments furent construits en brique, espacés les uns des autres, et leur hauteur fut limitée. Au niveau de la rue, on éleva des colonnades couvertes dont les toits, en plus d’abriter les piétons de la pluie, offraient une plate-forme qui s’avéra fort utile pour combattre les incendies.

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