Récit de cannibalisme en France lors de la grande famine du XIe siècle

Le moine et chroniqueur bourguignon Raoul de Glabre, témoigne, dans son Histoire de France et de Bourgogne, d’une faim enragée, survenue vers 1033 :

« Quand on se fut nourri de bêtes sauvages et d’oiseaux, les hommes se mirent, sous l’empire d’une faim dévorante, à ramasser pour les manger toutes sortes de charognes et de choses horribles à dire […] Chose rarement entendue au cours des âges, une faim enragée fit que les hommes dévorèrent de la chair humaine. Sur les chemins, les forts saisissaient les faibles, les déchiraient, les rôtissaient et les mangeaient […] Beaucoup attiraient à l’écart des enfants en leur montrant une pomme ou un oeuf et les égorgeaient pour s’en repaître. Les corps des morts eux-mêmes furent en bien des endroits arrachés à la terre et servirent également à apaiser la faim. […] Un misérable osa même vendre de la chair humaine cuite, sur le marché de Tournus. Arrêté, il ne nia pas et fut brûlé. Un autre, pendant la nuit, alla déterrer cette même chair, la mangea et fut brûlé de même […] Beaucoup de gens tiraient du sol une terre blanche et la mêlaient à ce qu’ils avaient de son et faisaient de ce mélange des pains grâce auxquels ils espéraient ne pas mourir de faim […] On ne voyait que faces pâles et émaciées ; beaucoup présentaient une peau distendue par des ballonnements […] Les cadavres des morts, que leur nombre obligeait à abandonner sans sépulture, servaient de pâture aux loups… On creusait des charniers dans lesquels les corps des morts étaient jetés par cinq cents et plus, pêle-mêle, nus […] ; les carrefours, les bordures des champs servaient aussi de cimetières…

 

Le chroniqueur apporte les détails suivants sur un cas de cannibalisme :

« Il existe une église, distante d’environ trois milles de la cité de Mâcon, située dans la forêt de Châtenet, solitaire et sans paroisse, et dédiée à saint Jean ; près de cette église, un homme sauvage avait installé sa cabane ; tous ceux qui passaient par là ou qui se rendaient chez lui, il les égorgeait et les faisait servir à ses abominables repas. Or il arriva un jour qu’un homme vint avec sa femme lui demander l’hospitalité, et prit chez lui quelque repos. Voici qu’en promenant ses regards dans tous les coins de la cabane, il aperçoit des têtes coupées d’hommes, de femmes et d’enfants. Aussitôt il pâlit, cherchant à sortir ; mais le néfaste occupant de la cabane s’y oppose et le fait rester de force. Épouvanté par ce traquenard mortel, notre homme eut pourtant le dessus, et gagna en toute hâte la cité avec sa femme. En arrivant, il raconta ce qu’il avait vu au comte Otton et aux citoyens. Ils envoyèrent sans tarder des hommes vérifier si c’était vrai ; ils partirent en hâte, trouvèrent le sanguinaire individu dans sa cabane avec les têtes de quarante-huit victimes, dont la chair avait déjà été engloutie dans sa gueule bestiale. Ils le conduisirent dans la cité, où il fut attaché à un poteau dans une grange, puis, comme je l’ai vu de mes yeux, ils le brûlèrent. »

Les famines qui se succédèrent pendant une trentaine d’années, particulièrement sévères en 1030-1033, obligèrent à creuser des charniers dans lesquels on jetait jusqu’à plus de 500 corps.

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