Waterloo – Cambronne : mensonge d’État pour une « parole historique »

La Vieille Garde entame sa retraite doucement, en bon ordre, et cela malgré les fuyards.  Sous la mitraille incessante, les carrés sur trois rangs deviennent rapidement des triangles sur deux rangs, tellement les pertes sont importantes. Les grognards glissent, trébuchent sur les objets de toutes sortes et les cadavres qui jonchent le sol.

 

Tous les cinquante mètres, il faut faire à nouveau un bloc immobile dans la tourmente pour repousser une charge de cavaliers ou répondre à un feu d’infanterie.  À chaque accalmie, ils peuvent entendre les officiers adverses qui les exhortent à se rendre. On peut imaginer que la tension aidant, la bravoure se soit marquée aussi par des échanges de paroles pas piquées des vers.

 

 

Concernant le fameux : « La garde meurt mais ne se rend pas ! » de Cambronne, il n’a jamais été prononcé car, comme ce dernier l’a raconté lui-même, il n’est pas mort et fut fait... prisonnier.  Détail piquant, prisonnier « sur parole » en Angleterre, c’est-à-dire libre de ses mouvements contre la parole de ne pas fuir, il épousera... une Anglaise.

 

Le célèbre « Merde » n’aurait, lui non plus, jamais été prononcé par Cambronne, sa femme déclarant qu’il était trop bien élevé pour se laisser aller à cela !  Pour d’autres, avant d’être fait prisonnier, il aurait quand même poussé l’un ou l’autre « Allez vous faire foutre ! ». De toute façon, dans une situation comme celle-là, les jurons devaient facilement sortir de nombreuses bouches, ne serait-ce que pour se donner du courage.

 

 

Mensonge d’État pour une « parole historique »

 

Cet épisode controversé donnera même lieu à un procès et à une manipulation officielle de l’État français mise au jour par l’historien Bernard Coppens.

 

Plus de cinquante ans après la bataille, Mac-Mahon devenu président de la République fera demander à un ancien de la Garde d’attester, contre une décoration et une pension, que cet épisode s’est bien déroulé de la manière classique avec Cambronne et les fameuses phrases qu’on lui a prêtées. Ce qui fut fait, car bien entendu le pauvre vieux n’allait pas refuser un revenu supplémentaire. Seul petit problème à l’analyse, ce « témoin » survivant faisait partie de la Jeune Garde, pas de la Vieille et n’était donc pas présent dans ces carrés.

 

Dernier petit détail : beaucoup citent Cambronne comme étant un Grenadier alors qu’il commandait les Chasseurs.

 

 

La Garde n’est pas morte

 

La déroute est à son comble, la mêlée est telle que certaines unités alliées se combattent entre elles, d’autres se font foudroyer par leur propre artillerie. Les derniers carrés de la Garde, presque anéantis, ont retraité jusqu’à la Belle-Alliance. Nous avons vu ce qu’il fallait penser des « fameuses phrases ». Cela n’empêche, là, ils font front, superbement impressionnants. Il faut les imaginer, grands, robustes, crâneurs, bien campés sur leurs jambes, le fusil solidement tenu, la baïonnette pointée vers l’avant, serrés épaules contre épaules, n’ayant peur de rien.

 

 

Presque la moitié d’entre eux sont décorés de la Légion d’honneur. Certains ont plus de vingt ans de service et portent trois brisques, ces chevrons qui, chacun, témoigne de sept années passées sous les drapeaux, et leur vaut le surnom de vieux briscard ; presque tous servent depuis plus de quatorze ans.
Débordés partout, ils n’en repoussent pas moins tous les assauts. Ils sont entourés des cadavres d’hommes ou de chevaux, de tous ceux qui ont eu l’audace de se lancer contre eux.

 

Malheureusement, il y a aussi des Français qui jonchent le sol, car c’est le prix à payer pour qu’un carré résiste, on repousse tout le monde, ennemis comme frères d’armes. Laisser rentrer ces derniers c’était laisser la possibilité aux autres d’aussi s’engouffrer dans le carré.  Petit à petit, l’intensité des attaques contre ces forteresses humaines diminue. La bataille est sur le point de se terminer ; il n’y a pas grand monde pour revendiquer le titre de dernier tué de la journée. La Garde peut continuer sa retraite, l’ennemi n’ose plus l’attaquer. Elle n’est pas morte, l’Empire, oui.

 

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