Mieux que le Viagra : La xénogreffe de glandes de bouc

Si aujourd’hui nous avons tous une confiance quasi aveugle en notre médecin de famille, l’histoire de la médecine traîne derrière elle toute une tradition de charlatans, de remèdes magiques, de potions et autres. Et encore aujourd’hui, sous d’autres cieux, on préfère faire appel à un sorcier ou à un shaman plutôt qu’à un médecin. Quoi de plus précieux que la santé ? Cela n’a pas de prix, comme on dit. Et il y a des gens chez qui ce qui n’a pas de prix est synonyme de bonne affaire à réaliser, de personne prête à tout pour quitter une chaise roulante, pour recouvrer la vue, guérir d’un cancer… Il suffit de voir la foule qui, chaque jour, se presse devant la grotte de Lourdes pour s’en rendre compte. Les arnaqueurs n’ont pas de cœur, et profiter de la souffrance des autres ne leur pose aucun problème. Mais à côté de cela, il existe deux domaines de la médecine dans lesquels les arnaqueurs s’en donnent aussi à cœur joie. Il y a d’abord celui de la chirurgie plastique : la récente affaire des prothèses mammaires SPIP en est le parfait exemple. Il faut dire que la clientèle a tout pour devenir le pigeon parfait. Généralement, les opérations coûtant assez cher, ce sont des gens qui ont les moyens, mais surtout, qui donneraient tout pour changer la courbe disgracieuse à leurs yeux d’un nez, d’une bouche… Pour certains, c’est même une obsession.

 

Si les arnaques « esthétiques » touchent principalement des femmes, le second domaine, lui, est exclusivement masculin. C’est celui de la puissance sexuelle du mâle. L’impuissance, la taille du pénis, la puissance virile. Voilà qui touche au plus profond de l’homme, de ce qui, pense-t-il, le définit dans sa masculinité. Le domaine est une véritable mine d’or, le succès du Viagra en témoigne, ainsi que, pour revenir au monde de l’arnaque, les nombreux courriels vous proposant le produit à un prix défiant toute concurrence. La grande force de ce domaine, plus encore que dans celui de la chirurgie esthétique, pour les escrocs, c’est la honte. Qui va se vanter d’avoir des problèmes d’érection ou un sexe aux dimensions sous la norme ? Garantie pour eux d’être à l’abri d’éventuelles poursuites en justice. D’où aussi l’utilisation d’Internet, média anonyme. L’histoire qui va suivre nous montre que la quête de l’homme pour devenir le mâle absolu ne date pas d’aujourd’hui.

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Après la Guerre de Sécession où il officia comme toubib pour l’Armée des États confédérés, John Richard Brinkley était revenu en Caroline du Nord où il reprit sa pratique, pas vraiment rentable, de la médecine. En 1870, après quatre veuvages et un mariage annulé parce qu’il était encore mineur lorsqu’il le contracta, il prit, à l’âge de quarante-deux ans, Sarah Mingus comme épouse. Sarah fit venir dans son foyer sa nièce qui se prénommait aussi Sarah et avait pour nom de famille Burnett. On ne sait si c’est cette similitude de prénom qui provoqua la confusion dans l’esprit de Brinkley, mais c’est Sarah Burnett qui donna naissance à son premier et unique fils, le 8 juillet 1885, qu’il prénomma John Romulus Brinkley. Six ans plus tard, Sarah Burnett décéda des suites d’une pneumonie. Quatre ans plus tard, ce fut à son tour d’être emporté par la mort, laissant le jeune Romulus, orphelin de père et de mère à l’âge de dix ans, aux mains de sa femme qui était pour son fils « tante Sally ».

 

 

Celle-ci, malgré ses pauvres moyens, fit son possible pour donner au fils de son défunt mari une bonne éducation. À 16 ans, ayant ses classes, le jeune Brinkley entra dans la vie active en occupant de petits boulots, distribuant le courrier ou officiant en tant que télégraphe. Mais il avait plus d’ambition que cela, il voulait suivre les pas de son père et devenir lui aussi médecin. Un poste de télégraphe s’étant libéré à New York, Brinkley quitta sa tante pour s’installer dans cette grande ville. On le rencontre un peu plus tard dans le New Jersey où il travaille pour des compagnies de chemins de fer. En 1906, il court au chevet de sa tante qui est au plus mal et décède le jour de Noël de la même année. C’est une jeune fille de vingt-deux ans du nom de Sally Wike qui le console de son chagrin et ils se marient le 27 janvier 1907. Le couple s’installe à Knoxville, où Brinkley se fait engager comme assistant par un certain Dr Bruke. En 1907, c’est à Chicago qu’ils posent leurs valises et Sally donne naissance à une fille, Wanda Marion. Romulus décide de s’inscrire, désirant toujours suivre les pas de son père, à la Bennett Medical College. Il alterne les cours le jour avec un emploi de télégraphe le soir. Cette occupation oblige toute la famille à se contenter du minimum pour vivre.

 

En 1911, Brinkley quitte Chicago pour revenir en Caroline du Nord. Le couple a plusieurs autres enfants, mais l’amour ayant depuis longtemps quitté le nid, il décide de quitter sa famille pour s’installer à Greenville. Là, il rencontre un Crawford et ils décident de monter ensemble un magasin qu’ils appellent Greenville Electro Medi Doctors. Pour la modique somme de vingt-cinq dollars, ils proposaient, aux hommes connaissant de petits problèmes de vigueur masculine, un remède, le Salvarsan, à base d’injection d’eau colorée en provenance d’Allemagne et qu’ils présentaient comme étant chargée d’électricité.

 

Le remède n’ayant pas les propriétés annoncées, ils durent quitter Greenville après deux mois d’activité, oubliant au passage de régler les nombreuses dettes qu’ils y avaient contractées. Il se réfugie à Memphis où Crawford lui présente une jeune femme de vingt et un ans, Minerva Telitha Jones, qu’il épouse - malgré le fait qu’il est toujours marié à Sally - quatre jours plus tard, le 23 août 1913. Alors que leur voyage de noces les amène à Knoxville, Brinkley est arrêté et extradé à Greenville où on le condamne à la prison pour pratique illégale de la médecine et usage de faux chèques. Sur base d’informations données par Brinkley, Crawford est arrêté à son tour.

 

 

Brinkley et Crawford arrivent à trouver un arrangement à l’amiable avec leurs créanciers. Il se tourne alors vers son nouveau beau-père pour payer la caution de deux cents dollars réclamée par le juge pour sa libération. Le couple part pour Memphis où, par manque de chance, il rencontre l’autre madame Brinkley, Sally, qui révèle son existence, ainsi que celle de ses enfants, à la seconde madame Brinkley.

 

Ils quittent alors Memphis pour Judsonia dans l’Alaska où Brinkley reprend ses études et obtient un diplôme de premier cycle universitaire lui permettant de pratiquer la médecine. Il cherche à se faire quelques clients en se présentant comme spécialiste en maladies féminines et infantiles, puis décide de rejoindre le corps médical de l’armée de réserve. En octobre 1914, ils s’installent à Kansas city où il fait sa dernière année d’étude à l’Electric Medical University. Il s’y intéresse à l’étude des radiations et des hypertrophies de la prostate chez les hommes âgés. Le 7 mai 1915, il en sort diplômé, ce qui lui permet de pratiquer la médecine dans huit états. Son diplôme en poche, il postule comme médecin auprès de la Swift and Co. Son poste consiste principalement à soigner les blessures professionnelles et à étudier la physiologie des animaux. C’est dans le cadre de cette étude qu’il apprend que, parmi tous les animaux tués dans les abattoirs américains, celui qui arrivait là en meilleure santé était le bouc. En 1917, étant réserviste, il fut appelé sous les drapeaux lors de la Première Guerre mondiale. Mais suite à une maladie et à un état nerveux désastreux, il ne servit la nation que deux mois avant d’être jugé inapte au combat. Une place de médecin étant vacante à Mitford au Kansas, ils déménagèrent une nouvelle fois.

 

L’année suivante, il ouvrit là-bas une petite clinique de seize chambres. C’est là que lorsqu’un patient venait pour un problème d’impuissance, il avait pris l’habitude de répondre par une boutade, leur disant que s’il se faisait implanter une paire de testicules de bouc, le problème serait résolu. Jusqu’au jour où un patient le prit au mot. Brinkley accepta de faire l’opération pour la somme de cent cinquante dollars. Et il répéta l’opération à ceux qui pouvaient se le permettre, car le prix avait augmenté pour être à présent de sept cent cinquante dollars. Et puisque les testicules de bouc avaient des effets bénéfiques sur la virilité des hommes, il n’y avait pas de raison qu’il en allât autrement pour les femmes frigides, qu’il se mit aussi à opérer. Il expliquait à ses patients qu’une fois les testicules en place, le corps acceptait la greffe devenant ainsi partie intégrante du corps. Chose qui, en réalité, ne risquait pas de se produire, vu qu’il se contentait de déposer les testicules dans le scrotum ou chez les femmes dans l’abdomen, juste à côté des ovaires.

 

 

Évidemment, les résultats étaient tout autres, les patients souffraient d’infections en grande partie dues aux conditions dans lesquelles s’était déroulée l’opération. Et certains des patients du docteur Brinkley perdirent la vie. Il y eut des poursuites devant les tribunaux. Mais pas question pour lui de laisser tomber une aussi rentable activité. Pour contrer les rumeurs qui commençaient à circuler sur la capacité du médecin à rendre à ses patients la fertilité ou la virilité, il fit une annonce en grande pompe à la presse : la première femme à qui il avait implanté des glandes de bouc venait de mettre au monde un beau petit garçon. Il expliqua aussi qu’en plus de l’impuissance et de la frigidité, les testicules de bouc pouvaient aussi soigner vingt-sept affections, dont, entre autres, les flatulences ou la folie. Précurseur en la matière, il lança une vraie campagne de marketing, avec envoi de courrier en masse, et avec comme slogan « devenez un bélier heureux qui peut s’amuser avec chaque brebis. »

 

Mais à trop faire de bruit, ceux-ci arrivèrent aux oreilles de l’Association Médicale Américaine (AMA), qui dépêcha sur place un de ses agents pour mener discrètement une enquête sur les pratiques du docteur Brinkley. Constatant qu’une femme quittait la clinique en boitant, il lui demanda la raison de cette démarche et elle lui expliqua qu’elle s’était fait implanter des ovaires de chèvre pour soigner une tumeur à la moelle épinière. Cela n’avait rien de rassurant pour l’AMA. Pendant ce temps, Brinkley fit des émules, notamment un Serge Voronoff, qui, lui, implantait des testicules de singes à ses patients. Brinkley vit aussi arriver à sa consultation des gens de plus en plus importants, l’impuissance n’ayant cure des classes sociales. C’est alors qu’il découvre la radio et comprend immédiatement comme cet outil peut lui être utile en termes de publicité. Il fonde en 1923 la première station de radio du Kansas, la KFKB (Kansas First Kansas Best). Il lance une émission de consultation en direct, durant laquelle il prodigue tous les bienfaits des glandes animales. Et ça fonctionne, on vient de tout le Kansas maintenant pour se faire opérer.

 

Le succès entraînant la jalousie de certains, des articles le dénigrant font fréquemment les titres de la presse. On lui reproche tout et n’importe quoi, mais aussi on sort des informations sur sa vie privée, sur le fait qu’il a abandonné sa femme et ses enfants ; enfin, des bruits comme quoi ses diplômes ne seraient pas valables et qu’il n’aurait pas le droit de pratiquer la médecine se font de plus en plus pressants. Il ne se laisse pas faire et attaque les journaux en justice. En avril 1930, il est convoqué devant la Kansas City Board of medical Examiners, qui l’accuse de fraude et de charlatanisme. Un procès débute le 15 juillet de la même année. Brinkley fait témoigner des dizaines de ses patients qui viennent expliquer que depuis l’opération, ils se sentent plus jeunes. Face à quoi les experts médicaux viennent expliquer à leur tour qu’on ne peut rajeunir suite à une telle opération et surtout, ils présentent au tribunal une quarantaine de certificats de décès signés de la main de Brinkley.

 

La décision tombe à la fin du mois de septembre, il lui est dorénavant interdit de pratiquer la médecine. Et une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, on lui interdit aussi de continuer ses émissions de radio. Puisque lui ne peut plus pratiquer, il engage d’autres médecins pour pratiquer les opérations à sa place et il décide de se lancer en politique. Il vend KFKB et avec les fruits de cette vente, fait construire une nouvelle station de radio au Mexique, XER, si puissante qu’elle diffuse jusqu’au Canada. Ayant été deux fois de suite battu aux élections, il décide de quitter le Kansas pour le Texas. Il y ouvre un hôpital et refait au Texas ce qu’il avait si bien réussi au Kansas. Mais les problèmes continuent à se présenter à lui, le gouvernement met la pression sur les autorités mexicaines et arrive à faire fermer XER ; surtout, un certain docteur Morris Fishbein, propriétaire d’une radio concurrente, l’accuse publiquement dans un livre d’être un charlatan. Un procès s’ensuit, que perd Brinkley. Il est alors pris dans une tournante de procès qui lui coûte plus de trois millions de dollars. En 1941, il est contraint de déclarer faillite. C’est la fin pour Brinkley ; même sa santé le quitte. Après trois crises cardiaques et l’amputation d’une jambe, sans le sou, il s’éteint le 26 mai 1942. On estima que durant toute sa carrière, ce n’est pas moins de 5 000 paires de testicules animaux qu’il implanta à des hommes à la virilité chancelante.

 

 

L’idée de faire appel à des glandes sexuelles animales pour augmenter la vigueur et l’appétit sexuel trouvera un écho un peu inattendu dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, avec pour personnage central celui qui, selon la légende, par son sex-appeal rendait folles toutes les femmes allemandes qui participaient à ses meetings : Adolf Hitler. Le docteur Theodor Morell fut « LE » médecin personnel de Hitler et le moins que l’on puisse dire est qu’il n’avait pas peur de faire appel à des traitements non conventionnels pour soulager le Führer de tous ses maux, ce qui lui valut une réputation de charlatan. On a même accusé le bon docteur Morell et ses traitements pour le moins alternatifs d’être à l’origine de la dégradation de la santé physique et psychique dont semble avoir été victime Hitler durant la fin de son « règne ». On connaît les « traitements » qu’infligea Morell à Hitler par le journal médical qu’il tenait. Et on peut y lire qu’il injecta à plusieurs reprises de l’Orchikrin et du Prostakrinum, qui sont des hormones indiquées pour soigner tous les types d’hypoplasie génitale (petitesse excessive de l’organe) ainsi que pour la déficience en hormones sexuelles chez les mâles, ou pour combattre les états dépressifs. Il faisait aussi des injections de testostérone (Testoviron) afin de restaurer les caractéristiques mâles déclinantes.

 

 

L’Orchikrin est une combinaison de toutes les hormones mâles, additionnée, pour plus d’efficacité, à des extraits de testicules, de vésicules séminales et de prostate de jeune taureau. Et le Prostakrinum est un produit hormonal composé d’extrait de vésicules séminales et de prostate. Une pilule d’Orchikrin contenait l’équivalent de 3 g de testicules frais, et une pilule de Prostakrinum, celui d’un gramme de prostate et de vésicules séminales. Ce mélange de traitements à base d’hormone « virile » devait, selon certains, faire fonction d’ « élixir de jeunesse » et revigorer les ardeurs défaillantes de Hitler, afin de l’aider à combler ainsi les attentes de la jeune Eva.

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