Que ce soit dans les embouteillages, lors d’une dispute houleuse ou suite à une maladresse, il vous est certainement déjà arrivé de jurer, voire … de proférer des insultes. Parmi celles-ci, « putain » remporte un certain succès. Auprès des plus jeunes comme des moins jeunes, l’expression fleurie a littéralement envahi nos régions, au point d’en perdre sa signification d’origine.
Pourtant, ce doux qualificatif n’acquit qu’assez tard dans l’histoire la signification grivoise qu’on lui connait aujourd’hui. Au départ, il dérive de l’adjectif putidus, signifiant « puant, sale, pourri, fétide », et du verbe putere, traduit par les latinistes « puer ». Par la suite, le mot latin évolua en ancien français vers put. Cet adjectif, employé comme qualificatif d’un complément direct ou circonstanciel, se déclinait au cas régime en « putain ». La même racine fut également à l’origine du mot putois, lequel doit son nom à ses effluves pestilentielles… Ainsi, une putain, au XIIe siècle, n’était rien de plus qu’une femme malodorante.
À la même époque, l’essor démographique rendit nécessaire l’apparition des noms de famille, dès lors que de simples homonymes ne suffisaient plus à distinguer les individus. Plusieurs familles, dont l’hygiène fut jugée douteuse, se virent alors affublées de noms dérivés de la racine put-, tels que Puthod, Putard ou Putet. Le patronyme flamand Vandeputte, en revanche, a une toute autre origine, puisqu’il signifie littéralement « celui qui vient du puit », du latin puteus.
Ce n’est donc qu’à partir du XIIIe siècle que le mot subit un glissement de sens. Du sens propre, il passa au sens figuré, et commença à être utilisé pour désigner les femmes de mauvaise vie, les prostituées. Étant donné la misogynie ambiante, il fut rapidement associé aux femmes, dont la sexualité a, dès l’avènement du christianisme, été considérée comme impropre. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que, si le français moderne a conservé les formes de l’ancien français « putain » et « pute », il a laissé de côté la forme masculine « put ».
De nos jours, ce terme est toujours employé pour désigner les prostituées, mais également les femmes dont les mœurs sont considérées comme trop légères, au regard de certaines mentalités. Toutefois, il arrive également qu’on y ait recours pour exprimer l’énervement ou la colère. Paradoxalement, il peut même être utilisé pour dénoter d’une certaine admiration. Ainsi, en sortant du cinéma, vous pourriez tout-à-fait vous exclamer que vous venez de voir « un putain de film », sans que cela n’ait, d’un point de vue étymologique, le moindre sens.
Notez toutefois qu’une autre étymologie du mot circule parfois, selon laquelle « putain » serait en fait un dérivé du verbe « putare », penser. La putain serait donc, à l’origine, la fille à laquelle on pense. Il apparaît néanmoins qu’il ne s’agirait en fait que d’une plaisanterie d’un humoriste basque, ayant déclaré à ce propos « ç’a n’est devenu compliqué que lorsqu’on a été plusieurs à penser à la même ». À prendre avec des pincettes, donc.
Ce terme a ainsi traversé le temps, de même que l’Europe, puisqu’il connait un équivalent espagnol, puta, mais aussi italien, puttana, rendu célèbre par la célèbre recette de spaghettis alla puttanesca. Cette sauce, composée de tomates cuisinées à l’ail et accompagnée d’olives et d’anchois, est aujourd’hui connue dans le monde entier, et doit son nom graveleux, signifiant « à la manière des putains », à une légende fantaisiste. On raconte en effet que les prostituées avaient l’habitude de préparer cette recette, soit pour attirer leurs clients, par l’odeur alléchés, soit pour les ragaillardir une fois leur devoir accompli. D’autres affirment que le nom vient de ce que les prostituées cuisinaient souvent des conserves de ce type de sauce, car elles manquaient de temps pour faire leurs courses. C’est ainsi qu’un mot qui, à l’origine, désignait une puanteur sans nom, se retrouva associé au délicieux parfum des spaghettis ensaucés.
Auteur : Elise vander Goten