Jeanne d’Arc : Petites histoires, grandes questions…

En 1429, à dix-sept ans, cette fille d’un paysan aisé de Domrémy, à la lisière de la Meuse et de la Lorraine, entendit des voix l’exhortant à partir délivrer Orléans, assiégée par les Anglais. Après avoir réussi à persuader le capitaine Baudricourt de la conduire auprès du roi, elle partit avec une escorte de six hommes. Elle parvint à rencontrer Charles VII à Chinon pour le convaincre de se faire sacrer à la cathédrale de Reims, en obtint une petite armée à la tête de laquelle elle chassa l’ennemi d’Orléans, avant de remporter d’autres victoires sur les Anglo-Bourguignons. Ses succès convainquirent le roi de partir à Reims en sa compagnie. Mais elle échoua dans une attaque devant Paris, fut capturée par les Bourguignons à Compiègne (qu’elle avait tenté de sauver), qui la livrèrent aux Anglais contre une rançon. Abandonnée par le roi, déférée devant le tribunal de l’Inquisition de Rouen dirigé par l’évêque de Beauvais Pierre Cauchon, elle subit un procès sans défenseur, qui la condamna au bûcher en 1431 sous l’accusation de « sorcière, apostate, hérétique, idolâtre, menteresse, devineresse et blasphémeuse ». Mais elle avait donné l’impulsion. Charles VII se ressaisit et, grâce à l’enthousiasme populaire et à son alliance avec le duc de Bourgogne, il finit par reconquérir son territoire. Réhabilitée par Charles VII en 1456, Jeanne fut canonisée en 1920.

 

 

Faute de frappe

 

Selon Régine Pernoud, c’est seulement vers 1450, au cours du procès de réhabilitation, que Jeanne reçut le nom « Darc », son père s’appelant plus probablement Jacques de Dart ou de Tard, sinon Dai, Darx..., comme l’indiquent les divers textes originaux, à une époque où il n’y avait pas encore d’orthographe fixée. Mais vraisemblablement pas « d’Arc », car jamais encore au XVe siècle l’apostrophe n’était indiquée. Il aurait sans doute été plus exact – pense la médiéviste – de l’appeler Jeanne de Romée, nom de sa mère Isabelle, puisque Jeanne déclare elle-même que les filles de son pays prenaient normalement le nom de leur mère.

 

 

 

Réponse habile

 

La xénophobie des Français à l’égard des Anglais a suscité cette question piège du tribunal à Jeanne :
« – Dieu aime-t-il les Anglais ?
– Oui... quand ils sont chez eux », répondit-elle.

 

 

 

Perfide Cauchon

 

Les juges décidèrent de suivre l’avis de l’Université de Paris, c’est-à-dire de la livrer au bourreau si elle n’abjurait pas. Mais les Anglais attendaient impatiemment de la voir brûler. Par un calcul perfide, Cauchon voulut d’abord qu’elle abjurât et qu’elle abandonnât définitivement ses habits d’hommes, ce qu’elle accepta. Quand elle regagna sa prison, on eut bien soin de laisser ses vêtements masculins à sa portée et elle ne put s’empêcher de les revêtir quelques jours plus tard. Du coup, considérée comme relapse, elle pouvait être condamnée au bûcher.

 

 

 

 

Brûlée deux fois

 

Le matin du 30 mars 1431, Jeanne allait être brûlée vive au Vieux Marché de Rouen, à l’âge de 19 ans. Elle s’entêta à porter un vêtement d’homme, qu’elle considérait comme une garantie de sa pudeur, « crime » qui lui valut d’être dévêtue et habillée en femme. Le Journal du Bourgeois de Paris – en fait probablement un chanoine, favorable aux Bourguignons et aux Anglais – donne ces détails :

 

« Aussitôt, elle recommença son erreur comme auparavant, demandant son habit d’homme. » Pendant que la foule réclamait sa mise à mort, elle fut ligotée à l’estache (pieu) placé sur l’échafaud en plâtre. Le bûcher fut allumé et le feu enflamma rapidement sa robe. Tandis qu’elle suffoquait, « fut le feu tiré arrière; et fut vue de tout le peuple toute nue, et tous les secrets qui peuvent être en femme [...] pour ôter le doute du peuple, afin qu’on ne dise pas quelle s’était évadée. Et quand ils l’eurent assez à leur gré vue morte, liée à l’estache, le bourreau remit le feu grand sur sa pauvre charogne, qui aussitôt fut toute consumée, et os et chair mis en cendres. »

 

 

 

 

L’ordre fut donné à ce même bourreau (Geoffroy Thérage) de ramasser les cendres et le cœur qui n’avait pas brûlé (peut-être aussi les entrailles), couvert de poix et de soufre, puis de jeter le tout dans la Seine, de manière à empêcher le peuple de recueillir ces restes pour en faire des reliques.

 

Le curé d’Heudicourt, prêtre à Rouen, confirme parmi d’autres la première partie du témoignage :

 

« Et quand elle fut morte, comme les Anglais craignaient qu’on ne dise qu’elle s’était évadée, ils ordonnèrent au bourreau d’écarter un peu le feu pour que les assistants puissent la voir morte... »

 

 

 

 

Pourquoi aurait-elle bien pu s’évader ? Parce que Jeanne ayant été accusée de sortilège, le bruit courait que les flammes ne la consumeraient pas. Pour le démentir, les Anglais la brûlèrent en deux étapes, entorse exceptionnelle aux habitudes, pour bien la montrer embrasée après la première, comme le rapporte l’ouvrage anonyme Justice et tribunaux de France :

 

« Quand on jugea que le feu qui enveloppait de toutes parts l’héroïque jeune fille l’avait atteinte, et sans doute étouffée, sans la consumer encore, on fit retirer une partie du bois enflammé pour oster le doubste au peuple. Et quand la foule l’eust assez vue au milieu du brasier, toute morte liée à l’estache, le bourrel remit le feu grand sus...» En se fondant sur l’extrait du Journal du Bourgeois de Paris cité plus haut, hélas sans en publier l’intégralité, Martin Monastier rapporte une autre hypothèse : c’est Bedford qui eut l’idée de procéder ainsi, pour dévoiler aux spectateurs le sexe de Jeanne et prouver ainsi qu’elle n’était pas vierge, contrairement à ce qu’avaient constaté les matrones. Autrement dit, qu’elle avait bien eu commerce avec le diable et que l’accusation de sorcellerie était tout à fait justifiée. Voilà qui justifierait mieux, dans cette hypothèse, la hauteur exceptionnelle du bûcher et de l’estache, pour que tout le monde puisse bien scruter la sorcière « d’en dessous. »

 

Mais Jeanne n’a très probablement pas été brûlée suspendue à un poteau. En outre, l’écrivain ne signale pas que la même chronique évoque aussi la possibilité d’une condamnation à quatre ans de prison, ajoutant qu’« elle n’en fit pas un jour » ! Bref, bien des interprétations sont possibles à partir de sources discordantes.

 

Mythe ou réalité ?

 

Aujourd’hui encore, tous les historiens ne croient pas que Jeanne d’Arc fut brûlée vive à Rouen, comme Michel Lamy, parce que, parmi un fatras de sources contradictoires, aucun document sérieux ne le prouve et, qu’après tout, il s’agissait peut-être d’une autre Jeanne. De toute façon, pour lui, l’histoire de Jeanne d’Arc est une pure légende, parce que, surtout, le personnage qui nous est montré par le procès de condamnation est tout à fait incompatible avec celui du procès de réhabilitation, et, pour faire bref, parce que trop de mystères planent toujours autour de cette aventure qui ne tient pas debout. Pour Régine Pernoud, elle « est pourtant l’une des mieux établies qui soit » ! Allez y voir... Quoi qu’il en soit, c’est une belle histoire et ce serait dommage de ne plus la raconter...

 

 

 

 

Jeanne la folle ?

 

En 1845, dans son Traité de la Folie, le docteur Calmeil écrivait que Jeanne souffrait de théomanie (folie de Dieu). En 1862, le docteur Brière réfutait la folie et attribuait les voix qu’elle avait entendues à des « hallucinations physiologiques ». Selon le docteur Dumas, en 1878, elles étaient provoquées par des « hallucinations unilatérales droites de la vue et de l’ouïe [...], fréquentes dans le cas de l’hystérie ». Ensuite, d’autres invoquèrent la schizophrénie. En 1958, deux médecins déclarèrent Jeanne atteinte d’une tuberculose transmise par un bovin, ce qui expliquerait mieux aussi pourquoi son cœur et ses boyaux ne se consumèrent pas lors de son exécution, ni même après, malgré l’huile, le soufre et le charbon dont le bourreau les avait alors enduits. On a aussi parlé d’hermaphrodisme, de travestisme, de lesbianisme, de névrose œdipienne, de dépression mythomaniaque. Bref, l’acharnement dont les savants ont fait preuve depuis le milieu du XIXe siècle à nos jours pour établir le diagnostic est interminable. En 1997, après avoir parcouru les pièces des procès, le psychiatre Alain Bottéro n’a rien décelé de pathologique. Rien d’autre pour lui que l’expérience normale d’une destinée exceptionnelle. Quel dommage que la sainte n’ait même pas laissé un poil pour réaliser des analyses qui livreraient les secrets de son patrimoine génétique ! Peut-être aideraient-elles à détecter d’éventuelles anomalies, à résoudre l’énigme des voix et des visions. L’espoir résidait dans le sceau d’une des cinq lettres attribuées avec certitude à Jeanne, conservées aux Archives de Riom (Puy-de-Dôme), mais il est aujourd’hui perdu. En 1849, l’historien Jules Quicherat y décelait, au revers, la marque d’un doigt et le reste d’un cheveu noir. Au Moyen Âge, en effet, il était courant de conférer ainsi un caractère personnel à un acte. On trouvait aussi, mêlés dans la cire, des poils de barbe (de préférence trois) et des rognures d’ongles. Hélas, ce qui restait du sceau a disparu.

 

 

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