John Fitzgerald Kennedy : Héros de guerre ?

Lors de la cérémonie d’investiture de John Fitzgerald Kennedy en janvier 1961, personne ne prêta attention à un modeste Japonais tranquillement assis sur sa chaise.

 

On peut pourtant, sans crainte de se tromper, affirmer que, plus que quiconque, il fut le responsable de l’image de héros de guerre de J.F.K. puisqu’il était l’homme qui avait tenté de le tuer en 1943. Au début du mois d’août 1943, une flottille américaine de 15 vedettes lance-torpilles appareilla pour tenter d’intercepter ce qui était connu sous le nom de « Tokyo Express ». Il s’agissait d’un groupe de destroyers japonais qui assurait l’approvisionnement de leurs troupes, engagées dans les îles Salomon. Bredouille, le gros de la flottille retourna à sa base, laissant 3 P.T. en faction dans le détroit des Blackett, espérant qu’ils puissent engager l’Express sur le chemin du retour.

 

 

 

 

Il s’agissait des vedettes PT 161, 169 et 109. Cette dernière était placée sous le commandement du jeune et inexpérimenté John F. Kennedy. Personne ne sait exactement ce qui se passa à l’aube du 2 août, alors que les vedettes flottaient, moteurs au ralenti et hélices au point mort. Les PT 161 et 169 prirent la fuite après que le 109 eut été coupé en deux par un destroyer japonais. Les survivants furent, évidemment, peu enclins à dresser la liste de ceux qui étaient endormis à ce moment. Le vaisseau japonais était l’« Amigiri », ou « Brume Céleste », et d’après le lieutenant du vaisseau Kohei Hanami, qui était sur le pont au moment de l’impact :

« Nous manquions de bateaux de transport, aussi 5 destroyers reçurent l’ordre de livrer du matériel aux troupes stationnées à Kolombangara. Bien que conscients de la possibilité de rencontrer des Américains à n’importe quel moment, nous atteignîmes l’île sans incident et la cargaison fut rapidement déchargée. La nuit était noire et la mer agitée par de fréquentes rafales de vent. J’étais sur le pont aux environs de deux heures du matin, quand un objet fut signalé droit devant, légèrement sur la droite de notre route. Examinant sa taille et sa superstructure, j’en conclus qu’il s’agissait d’une vedette lance-torpilles américaine. Nous filions alors à 30 nœuds, et j’estimai qu’il restait 20 à 30 secondes avant l’impact. Un changement de cap aurait signifié d’exposer notre flanc à une torpille tirée à bout portant, aussi je donnai l’ordre de filer plein pot. Après l’impact, nos vigies scrutèrent la mer à la recherche d’éventuels survivants, mais la seule chose qu’ils virent furent quelques débris du naufrage. Presque immédiatement après l’impact, l’Amigiri commença à vibrer et je donnai l’ordre de mettre en panne pour procéder à l’évaluation des dégâts, qui révéla qu’une des hélices avait été tordue. Notre bâtiment ne s’immobilisa qu’à quatre kilomètres du point d’impact, mais on ne découvrit pas d’autres dégâts, et nous rentrâmes à Rabaul à la vitesse de 24 nœuds. »

 

 

Kennedy sur le PT-109, 1943

 

Deux membres de l’équipage du patrouilleur américain trouvèrent la mort lors de la collision et un autre, Léonard Thom, fut gravement brûlé. Bien que sérieusement sonnés, les autres marins étaient indemnes. Surmontant une douleur dans le dos, qui devait le tarauder pendant le restant de ses jours, Kennedy rassembla ses hommes autour de lui, attendant en vain que les deux autres PT viennent les secourir. Le PT 162 avait aperçu l’Amigiri alors qu’il surgissait de l’obscurité et l’avait engagé avec deux torpilles, mais sans succès. Les archives japonaises devinrent accessibles aux Américains après la guerre, et le rapport d’Hanami fut soigneusement étudié.

 

L’interprétation la plus amène que l’on puisse formuler concernant la conduite des deux autres équipages est que la nature dévastatrice de l’impact, et l’incendie du combustible qui s’ensuivit, pouvaient laisser présumer que personne n’aurait pu survivre à pareil choc. Quoi qu’il en soit, les deux vedettes firent demi-tour, abandonnant Kennedy et ses hommes. La suite est bien connue : Kennedy aidant le blessé, ils nagèrent jusqu’à l’îlot Plum Pudding. Mais celui-ci, long d’une centaine de mètres et moins large encore, n’était rien d’autre qu’un endroit où se reposer un peu. Ils nagèrent ensuite jusqu’à l’île d’Olasana, plus grande. L’équipage resta sur place, pendant que Kennedy, seul dans des eaux infestées de requins, nagea d’îlot en atoll jusqu’à ce qu’il réussisse à prendre contact avec un poste d’observation australien.

 

 

Ray Feb, J.F.K. et Léonard Thom en 1944

 

Ce qui était sans l’ombre d’un doute une conduite héroïque, mais il y eut, comme d’habitude, des commentateurs qui interprétèrent ces actions comme celles d’un homme animé du désir obsessionnel de soulager le sentiment de culpabilité d’avoir été le responsable de ce qui était arrivé. Personne ne vint jamais affirmer que Kennedy lui-même était endormi aux commandes. Il demeure néanmoins le seul homme à avoir perdu un M.T.B. dans de pareilles circonstances. Son bateau était équipé de trois moteurs Packard de 1 500 chevaux. Une légère poussée sur la manette des gaz et le 109 aurait quasiment survolé les flots. Ajoutons que le 162 vit certainement l’Amigiri suffisamment tôt pour lui envoyer deux torpilles avant la collision.

 

  L'équipage de PT-109 (Kennedy est à l'extrême gauche)

 

Le destroyer japonais vit le 109 à quelques encablures. Relevons enfin que, même si l’équipage était éveillé, et que, par un hasard extraordinaire, personne n’avait vu arriver le bâtiment ennemi, il aurait à tout le moins dû l’entendre arriver. Un destroyer fendant les vagues à 50 km/h n’est pas la plus silencieuse des choses au milieu de la nuit. Tout le monde reste persuadé que tous, ou la plupart d’entre eux, Kennedy compris, étaient profondément endormis. Au milieu du charivari organisé par le clan Kennedy pour faire de « Jack-la-Braguette » (son surnom dans la marine) un héros de guerre pendant la campagne présidentielle, certaines voix discordantes s’élevèrent. Comme celles, par exemple, du général Mac Arthur ou de l’amiral Nimitz, qui étaient d’avis qu’au lieu de se voir décerner la Navy Cross, Kennedy aurait dû passer en Conseil de guerre pour déterminer les raisons pour lesquelles lui et ses hommes avaient bu la tasse.

 

 

Comment avait-il pu, aux commandes d’un des bateaux les plus manœuvrables, rapides et nerveux au monde, rester flotter paisiblement sur l’eau pendant qu’un destroyer lui passait dessus ? Ce simple bon sens fut néanmoins balayé par la puissance du clan Kennedy, qui s’assura que les médias, dans un même élan, diffusent la « bonne version »et ne se concentrent que sur la conduite héroïque de J.F.K. après le naufrage. Une stratégie qui s’avéra payante, puisque Kennedy l’emporta sur Nixon. Ce dernier avait pourtant également servi dans la Navy pendant la guerre, mais n’avait jamais été au contact de l’ennemi. Aussi, la machine publicitaire des Kennedy monta-t-elle en épingle l’héroïsme du chef nageant au milieu de ses hommes, et fit retentir les trompettes de la Renommée jusqu’à ce que l’élection fut remportée.

 

 

James Reed, John F. Kennedy, George Ross , et Paul Fay, vers 1943

 

Ce qu’Hanami pensait de toute l’affaire demeura un mystère, puisque sa seule déclaration se résuma à celle que, de retour de mission, il fit aux autorités japonaises. Il refusa obstinément d’épiloguer sur les raisons pour lesquelles le PT 109 flottait devant son destroyer comme une baleine morte. Le dernier survivant du PT 109, George Zimser, mourut en 2001. D’après lui, Kennedy lui devait toujours cinq dollars.

 

 

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