Empoisonnement, hépatite, cancer,… ? De quoi est mort Napoléon

Tantôt, la volonté l’a emporté, tantôt l’émotivité a prédominé. À Sainte-Hélène, Napoléon s’efforce encore de maîtriser ce point faible, cette affectivité féminine par laquelle il se sent vulnérable. Les derniers instants et l’autopsie vont nous livrer une part de ce mystère qui a préoccupé bien des historiens.

 

Écartons tout de suite l’hypothèse bon marché du chirurgien-dentiste suédois Sten Forshufvud, qui prétend que Napoléon a été empoisonné à l’arsenic. Ce lamentable récit d’histoire-fiction est parti d’une analyse chimique de quelques cheveux de Napoléon, provenant d’une collection privée. Des spécialistes de la médecine légale de Glasgow et d’Uppsala ont dit et confirmé que ces cheveux contenaient de l’arsenic, et notre Suédois a cru pouvoir en déduire que Napoléon avait été assassiné par Montholon, agissant sur les ordres de Louis XVIII.

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Mort de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, le 5 mai 1821, Charles de Steuben.

 

Ce romancier oublie de nous démontrer que ces cheveux sont bien ceux de Napoléon et pourquoi l’Empereur empoisonné a pu éviter, comme le remarque le Dr Godlewski, « les stigmates de l’empoisonnement à l’arsenic ».

 

Le Dr Hamilton Smith, toxicologue attaché à l’université de Glasgow, a travaillé sur trois échantillons de cheveux différents de ceux dont a disposé le dentiste suédois. En 1963, il a soumis ces cheveux à un bombardement de neutrons au centre atomique d’Harwell et a conclu à la présence d’arsenic. Il a cru pouvoir lui aussi admettre la thèse de l’empoisonnement, mais au cours de la controverse qui s’ensuivit, des médecins ont fait remarquer que, pour conserver les cheveux, on procédait encore il y a un siècle au trempage de ceux-ci dans un bain d’acide arsénieux. Au surplus, on sait que les toxicologues émettent souvent des expertises contradictoires comme l’a révélé le procès de Marie Besnard.

 

Napoléon Ier sur son lit de mort, une heure avant son ensevelissement, Jean-Baptiste Mauzaisse (1784-1844).

 

L’Autopsie

 

Au surplus, tous les bons spécialistes français ont écarté l’affabulation du dentiste suédois. Résumons leurs arguments : aucun symptôme d’empoisonnement chez le malade dont on possède pourtant des descriptions minutieuses ; Napoléon soupçonnait les Anglais de vouloir l’empoisonner. Il est invraisemblable qu’il n’ait rien remarqué si, comme le dit le Dr Forshufund, il a absorbé l’arsenic plusieurs dizaines de fois (Maître Isorni) ; la base bibliographique de cette thèse est souvent fausse (P. Fleuriot de Langle) ; une exhumation après un siècle et demi ne prouverait rien (Maître Torrès) ; l’hypothèse est absurde et entièrement démentie par les conclusions des médecins (Dr Laburthe).

 

Mort de Napoléon, Jean-Pierre Marie Jazet.

 

Quelles sont ces conclusions ? À première lecture, elles sont contradictoires.

 

Le 5 mai 1821, Le Dr Antommarchi procède à l’autopsie en présence de dix-sept personnes, dont huit médecins. Ses observations sont connues, ainsi que ses conclusions. Napoléon est mort d’une hépatite. Mais la compétence d’Antommarchi, trop jeune et inexpérimenté, a été mise en doute. Le Dr Arnott, médecin anglais présent, fut prié par le gouverneur de l’île, Hudson Lowe, de rédiger un rapport certifiant l’état normal du foie, car le fonctionnaire britannique craignait d’être accusé de négligence, ou même de crime. Arnott a donc consigné ses observations dans un texte assez bref, faisant porter ses remarques sur les anomalies de l’estomac.

 

Le rapport Arnott a été contresigné par cinq médecins anglais, mais Antommarchi a refusé de l’approuver.

 

Hépatite ou cancer ?

 

Telles sont les pièces fondamentales auxquelles s’ajoutent des Mémoires d’Antommarchi et d’Arnott publiées ultérieurement et insistant toutes deux sur la véracité de leurs conclusions : l’hépatite pour le médecin corse, le cancer de l’estomac pour le praticien britannique.

 

Ces documents ont été réexaminés après la Seconde Guerre mondiale par des spécialistes américains.

 

Première tombe de l'Empereur Napoléon Ier sur l'île de Sainte-Hélène.

 

Le professeur Pulle de l’Institut de médecine tropicale de Rome a conclu que Napoléon est mort d’une hépatite chronique qui s’est déclarée à la suite d’une dysenterie amibienne, abcès du foie ayant percé dans l’estomac.

 

Deux médecins français, le Dr Ganière et le Dr Godlewski se sont rendus séparément à Sainte-Hélène pour y procéder à des observations qui ont leur prix.

 

Ouverture du cercueil de Napoléon Ier à Sainte-Hélène.

 

Le Dr Ganière constate que le climat de l’île n’est pas si mauvais qu’on veut bien le dire et qu’au contraire, il devait être bien meilleur à l’époque de Napoléon. Il n’empêche que la nourriture excellente venait de loin et après deux ou trois mois de navigation, on peut comprendre que l’estomac de l’exilé ait souffert. D’où le Dr Ganière croit pouvoir diagnostiquer un cancer ou un ulcère de l’estomac.

 

… ou les deux ?

 

Le Dr Godlewski a recherché dans l’île des traces d’une épidémie de dysenterie amibienne. Son enquête a abouti. La dysenterie a sévi en 1816 et plusieurs centaines de malades furent dénombrés, dont Gourgaud, Bertrand et Mme de Montholon. L’éminent spécialiste français a également constaté que Napoléon faisait chercher son eau, à une lieue de distance, dans une source non polluée, mais il pense que l’Empereur n’a pas dû échapper à l’épidémie.

 

Il conclut : « à l’existence de deux maladies distinctes et successives, l’une, guérissable et ayant guéri : l’hépatite ; l’autre terminale et mortelle, la lésion gastrique. Cette dernière prête à discussion, aucun argument décisif ne tranchant en faveur du cancer ou de l’ulcère. Mais certains faits cliniques et anatomiques ont convaincu de la probabilité ulcéreuse ».

 

Probablement la chemise que Napoléon portait lorsqu'il prononça ses derniers mots.

 

Nous nous rallierons à cette thèse de l’ulcère perforé, pour d’autres raisons. Cette maladie grave et longue est de celles que la médecine psychosomatique retient comme d’origine psychologique. L’émotivité excessive, comprimée, réprimée par une volonté de fer provoque l’irritation du système nerveux sympathique, régulateur de l’harmonie organique.

 

Chez cet homme de tempérament harmonique, cette irritation est un germe de mort. Apparaît-il très vite comme tendrait à le faire supposer cette main droite si souvent placée en position de soutien d’un estomac réticent ?

 

Masque mortuaire présenté comme étant celui de Napoléon par Antommarchi.

 

Les troubles digestifs du petit Bonaparte d’Ajaccio se seraient- ils constamment développés jusqu’à atteindre leur paroxysme à Sainte-Hélène, non pas tant du fait des intolérances d’Hudson Lowe que d’un relâchement progressif de la volonté ? La question reste ouverte.

 

Maladie de la volonté, certitude d’avoir rempli entièrement « sa » mission ou renoncement à la lutte consciente entre volonté et émotivité. Toujours est-il que l’émotivité l’emporte, causant l’ulcère mortel chez ce sujet prédisposé.

 

Napoléon, exemple type de déséquilibre psychosomatique, pouvait seul, par son hyperémotivité, mener les Français là où il les a menés aux limites du possible et du raisonnable. Les hommes gardent toujours une étrange reconnaissance envers ceux qui leur ont montré les sommets qu’ils pouvaient atteindre.

 

 

 

 

 

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