Les grandes erreurs de la science : les cinq polyèdres, encore…

En 1596, l’astronome allemand Johannes Kepler, que nous avons brièvement rencontré, il n’a que vingt-cinq ans, publie, chez Georg Gruppenbach, à Tubingen, un Prodromus dissertationum cosmographi-carum, continens mysterium cosmographicum. L’ouvrage est généralement cité sous le titre abrégé de Mystères cosmographiques par les historiens francophones. Voilà encore un de ces ouvrages qui commencent fort bien et qui se terminent fort mal. Kepler adopte résolument le système de Copernic, acceptant donc l’idée que les planètes tournent autour du Soleil. Mais à quelle distance ? L’ordre est connu, je l’ai déjà indiqué, de Mercure, la planète la plus proche du Soleil, à Saturne, la planète la plus lointaine. Kepler a alors l’idée, sans autre fondement qu’un vague sentiment esthétique, que les planètes doivent décrire des cercles se trouvant sur des sphères, centrées sur le Soleil, telles que chacune de ces sphères soit circonscrite à… un polyèdre platonicien ! On se demande bien pourquoi. L’idée qu’il doit exister des régularités et même des harmonies dans la nature n’est certainement pas sotte. Il ne faut pas être un grand savant pour admirer les régularités des fleurs ou des coquillages. Mais l’idée de trouver ce genre de régularités dans la géométrie est plutôt naïve. On peut dire, si on considère que l’histoire des idées représente le vieillissement de l’esprit humain, que Kepler est encore le contemporain de Platon. Impressionné par l’existence de cinq polyèdres réguliers, bourrés de symétries, il pense que les planètes doivent se distribuer dans l’Univers selon ces figures, de même que Platon croyait que les éléments devaient aussi en dépendre. Kepler propose, donc, dans son livre que l’orbite de Saturne se trouve sur un cercle englobant un vaste cube, que l’orbite de Jupiter englobe un tétraèdre, que la trajectoire de Mars entoure un dodécaèdre, que celle de la Terre contient un icosaèdre et que celle de Vénus encadre un octaèdre. Mercure est alors située sur une sixième sphère, inscrite dans l’octaèdre… De tout cela, il ne reste rien, sinon quelques beaux dessins comme savaient en produire les artistes de la Renaissance. Mais ne quittons pas Kepler avec l’impression qu’il s’agissait d’un homme encore tout pénétré du mysticisme de la pensée pré-scientifique.

Certes, il a commencé à réfléchir à la position des planètes, à la structure du cosmos, avec des idées préconçues d’harmonie et de beauté mathématique. Mais il va se reprendre. En 1600 – il a maintenant vingt-neuf ans et il commence à se rendre compte que la recherche des sphères est illusoire – il rencontre, à Prague, un collègue plus âgé, l’astronome danois Tycho Brahé. Brahé était un savant connu. Il était le mathématicien impérial de Rodolphe II de Habsbourg, empereur du Saint- Empire, roi de Bohême et de Hongrie. Il avait fait des observations astronomiques extrêmement précises, bénéficiant des améliorations des techniques d’observation depuis Copernic, et il va fournir ses tables de position des planètes à son jeune collègue Kepler.

Tycho Brahé meurt l’année suivante, en 1601, donc, le 24 octobre, et Johannes Kepler, qui était devenu son assistant, est nommé mathématicien impérial le 26 octobre 1601. Je ne vais pas détailler toute la biographie de Kepler, mais il faut savoir qu’il va étudier très minutieusement les données d’observation accumulées par Brahé, et qu’il pourra en tirer des lois mathématiques pour décrire les mouvements planétaires. La première de ces lois est à la fois très simple et totalement révolutionnaire : les planètes parcourent, autour du Soleil, une trajectoire qui n’est pas circulaire, mais qui est elliptique.

Ce qui était devenu un véritable dogme depuis Platon et Aristote, que les planètes doivent forcément parcourir des cercles, puisque les cercles sont des figures parfaites, est combattu par Kepler, celui-là même qui avait commencé sa carrière avec cette idée typiquement antique des cinq polyèdres réguliers… Depuis Kepler, des centaines d’astronomes ont pu, grâce à une instrumentation de plus en plus perfectionnée et donc de plus en plus précise, vérifier que les orbites planétaires sont bien des ellipses. Même les planètes découvertes après Kepler, Uranus, Neptune, Pluton ont une trajectoire elliptique. Kepler a peut-être commis une erreur de jeunesse, mais il s’est bien rattrapé ! Il va d’ailleurs énoncer deux autres lois du mouvement planétaire, qui seront également vérifiées, et qui seront à la base de la fameuse théorie de la gravitation universelle de Newton, qui sera énoncée en 1687. Il y a des erreurs fécondes. Du moins, en science…

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