Waterloo – La victoire vue du côté anglais

« Les souvenirs de la dernière partie de cette journée sont plutôt confus ; j’étais fatigué et presque sourd. Je me rappelle clairement cependant que nous avions cessé le tir, la plaine en dessous étant couverte de masses de troupes que nous ne pouvions distinguer.  Le capitaine Walcot, de l’artillerie à cheval, était venu vers nous, et nous observions anxieusement les mouvements au-dessous de nous et sur le plateau en face, lorsque, tout à coup, il s’écria : « Victoire ! Victoire ! Ils fuient. Ils fuient. »

 

Et distinctement, nous vîmes quelques-unes des masses ennemies se dissoudre et ceux qui les composaient se répandre en foules confuses à travers champs, pendant que le tir, déjà irrégulier, de leur artillerie cessait entièrement. Je n’oublierai jamais ce moment plein de joie, ce moment d’exultation. En regardant autour de moi, je m’aperçus que j’étais resté seul. Cavalerie et infanterie s’étaient toutes portées en avant et on ne voyait plus que quelques canons en position çà et là. Un peu sur notre droite, sous les ordres du lieutenant Sandilands, étaient les restes de la troupe du major M’Donald qui avait beaucoup souffert, mais rien de comparable à nous. »

 

 

Au-delà de tout

 

« Nous nous réjouissions du résultat heureux de la journée quand un aide de camp arriva au galop, criant : « En avant, monsieur ! En avant ! Il est de la plus haute importance que ce mouvement soit appuyé par l’artillerie. »

 

Je souris de sa véhémence et, lui indiquant les restes de ma malheureuse troupe : « Et comment, monsieur? » Un coup d’œil suffit à lui en montrer l’impossibilité et il nous laissa.  De fait, notre situation était terrible. De 200 beaux chevaux avec lesquels nous étions entrés dans la bataille, plus de 140 étaient étendus, morts, ou sévèrement blessés.  Quant aux hommes, il en restait à peine deux tiers de ceux nécessaires pour les deux pièces qui demeuraient, et si complètement épuisés qu’ils étaient totalement incapables de tout nouvel effort. »

 

Journal de la campagne de Waterloo / Alexandre Cavalié Mercer

 

 

Alexandre Cavalié Mercer appartenait à une famille de soldats. Son père était général du génie. Il reçut l’éducation de la petite noblesse de son temps et obtint une commission dans l’artillerie royale à l’âge de seize ans. Il fit ses premières armes en Irlande au moment de la Rébellion.

En 1808, il rejoignit à la rivière de la Plata la malheureuse expédition de Whitelock et couvrit la retraite de Buenos-Ayres. Ce fut une fâcheuse affaire pour lui, car cela l’empêcha de participer aux guerres d’Espagne et de gagner la sympathie que le duc de Wellington réservait à ceux qui l’avaient suivi dans la Péninsule. Le généralissime anglais aura de fait, envers Cavalié Mercer des sentiments qui touchaient presque à l’aversion et le rendaient injuste envers lui.

Mercer débarqua avec sa batterie à Ostende le 13 avril 1815. Après différents cantonnements de Gand à Nivelles, il rejoignit l’armée le soir des Quatre-Bras et reçut le lendemain la périlleuse mission de couvrir la retraite. Après avoir joué un rôle actif à Waterloo en brisant les trois dernières charges de Ney, il descendit avec les Alliés sur Paris et fit partie de l’armée d’investissement jusqu’en décembre 1815, date à laquelle il ramena sa batterie en Angleterre par Calais.

 

 

 

Des Anglais comme d’habitude fair-play

 

Chatham Horace Churchill qui, comme adjudant général, servait dans l’état-major anglais, nous livre les sentiments anglais en cette fin de bataille :

 

 

« Il est inutile d’insister sur la conduite des troupes des deux armées.  Lord Wellington dit que c’est une bataille de géants.  De toute l’armée, Wellington est celui qui s’est peut-être le moins ménagé sans recevoir pourtant de blessure.  Currie a été tué par la mitraille près de moi. Lord Hill, au milieu de la grande mêlée avec la Garde impériale a eu son cheval tué et les cuirassiers sont passés sur lui, nous l’avons perdu pendant une heure et le croyions tué quand, à la fin, on l’aperçut chevauchant de plus belle.  Dans l’état-major de Wellington, les colonels Canning et Gordon ont été tués, Fitzroy Somerset a perdu un bras, de Lancey a été blessé grièvement.

 

L’objet de l’admiration de toute l’armée a été la bravoure de la cavalerie française et l’opiniâtreté de notre infanterie. Trois fois, la cavalerie perça nos lignes, mais nos hommes se firent tuer à leur poste, aucun ne voulut se rendre. Il y eut un moment où toute l’infanterie des deux armées était formée en carré.  Jamais on n’a vu un dévouement pareil à celui des cuirassiers français.  Je ne pus m’empêcher de m’écrier au milieu de la mêlée : « Morbleu ! ces braves gens méritent de garder leur Bonaparte, ils se battent si noblement pour lui. »

 

J’aurais mieux aimé mourir ce jour-là fantassin anglais ou cuirassier français que de mourir dans dix ans d’ici dans mon lit. »

 

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