Yang Kyoungjong : l’homme des trois fronts

Il est de ces destins qui, loin de ne causer que stupéfaction, suscitent en celui qui s’y intéresse la plus profonde admiration. En ce sens, l’Histoire regorge de ces hommes qui, par leurs décisions, leurs actes, leurs aventures et leurs épopées, illustrèrent des périodes entières de notre passé universel et éclairèrent les plus sombres époques.

L’un de ces périples humains nous ramène au mois de juin 1944 : les Alliés débarquent alors en masse en Normandie afin de secourir les vestiges de la vieille Europe, sous domination allemande. Parmi les troupes à fouler le territoire français en ces instants fatidiques se trouvent également des parachutistes américains et, plus particulièrement, le 506e régiment d’infanterie aéroportée. Lors de leur reconquête du Cotentin, ces soldats capturent ce qu’ils pensent être en premier lieu quatre combattants japonais déguisés en Allemands. Leur première assomption n’est pas trop éloignée de la réalité, toutefois l’un d’entre eux n’est en fait pas japonais. Il s’agit d’un ancien prisonnier coréen et son nom est Yang Kyoungjong.

Comment cet homme venu de si loin arriva-t-il jusque-là ? Quel parcours décida-t-il, ou fut-il contraint, d’emprunter ?

Yang Kyoungjong nait le 3 mars 1920 dans l’actuelle Corée du Nord, alors annexée à l’Empire du Soleil levant. Depuis le traité signé entre les deux gouvernements, en 1910, le Japon y exerce une politique totalitaire sans pitié qui ne rechigne nullement à l’idée d’exploiter les ressources naturelles, matérielles et humaines de la région. C’est dans cette dernière perspective que le jeune Kyoungjong est enrôlé de force dans l’armée d’élite nippone du Kwantung en 1938. Il n’est âgé que de 18 ans.

Pendant un an, il combat bravement aux côtés de cette division de l’Armée impériale en Mandchourie dont il défend les idéaux bien malgré lui. Il est alors envoyé à la frontière nord de la région où se dressent les troupes de l’Ours russe, bien déterminées à protéger leur territoire coûte que coûte. Ainsi, non loin des berges de la rivière Khalkha, Kyoungjong prend part à l’un des affrontements les plus décisifs du front mandchourien entre le 11 mai et le 16 septembre 1939 : la bataille de Khalkhin Gol. Lors de cette confrontation, les troupes japonaises sont écrasées et l’Union soviétique entreprend d’envoyer les prisonniers de guerre capturés dans des camps de travaux forcés, aussi connus sous le nom de goulag.

Notre soldat nippo-coréen y restera jusqu’en 1942, date à laquelle le rouleau compresseur russe s’enclenche et décide de mettre tous les moyens en œuvre pour s’accorder une victoire totale sur le front de l’Est. Pour pallier le manque d’hommes, il réquisitionne donc les soldats étrangers capturés et enfermés dans des goulags pour les envoyer se battre en son nom. Kyoungjong en fait partie. Il se retrouve alors engagé dans la troisième bataille de Kharkov, qui scellera une nouvelle fois son destin d’exilé.

En effet, cet affrontement démontre aux Russes le potentiel offensif que conserve la Wehrmacht malgré ses dernières défaites à Stalingrad. Le retour de flamme de l’armée allemande entraîne ainsi la destruction de 52 divisions soviétiques et la reconquête des villes de Kharkov et Belgorod entre le 19 février et le 15 mars 1943. De nouveau, Yang Kyoungjong est fait prisonnier, mais cette fois-ci, tombe aux mains des Allemands qui ne tarderont pas à s’en servir tout autant que ses précédents geôliers.

De fait, il est rapidement intégré aux rangs de la Wehrmacht en tant que volontaire pour les Ostlegionen, ou légions de l’Est, et stationné, en 1943, dans le Cotentin pour prévenir toute invasion des Alliés. Posté non loin de la fameuse Utah Beach, il connaîtra, un an plus tard, un nouveau retournement de situation dans son odyssée pourtant déjà bien mouvementée.

Lors sa dernière capture, ce pauvre pèlerin venu de si loin peine à aligner quelques mots ; il balbutie, baragouine et ne peut que constater l’impasse communicationnelle dans laquelle il se trouve. Ne sachant parler ni l’anglais ni l’allemand, Kyoungjong ne peut s’identifier auprès des parachutistes, perplexes, qui croient voir en lui l’Ennemi du Pacifique.

Il est alors interné dans un dernier camp de prisonniers en Angleterre où il séjourne jusqu’aux ultimes instants de la guerre. Toutefois, son périple ne s’arrête pas tout à fait là. En effet, probablement attiré par des longitudes inexplorées, il se retire calmement aux États-Unis pour s’éteindre le 7 avril 1992, à l’âge de 72 ans, dans le comté de Cook, dans l’Illinois.

Auteur : Maxime Wève

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