Game of Thrones et les marches expiatoires de la justice médiévale

La marche de la honte de Cersei Lannister

Saison 5, épisode 10, comment oublier les 7 intenses minutes d’humiliation vécues par Cersei Lannister, déchue de son rôle de Reine Mère et contrainte à marcher nue du Grand Septuaire de Baelor jusqu’au Donjon rouge, crâne presque rasé, dans la ville de Port-Réal sous les cris de la foule qui lui jette de la nourriture pourrie ainsi que des excréments, et les mémorables « Shame! » répétés inlassablement par la Septa Unella (prêtresse de la Foi des sept, disciple dévouée du Grand Moineau) ?

Rappelez-vous, la Septua avait rendu de fréquentes visites dans la cellule de Cersei pour l’obliger à se confesser à propos de sa relation adultère avec son cousin Lancel. Quand celle-ci le fera enfin, son orgueil ayant été durablement mis à l’épreuve, elle sera autorisée à revoir son fils, le roi Tommen, mais seulement après avoir accompli une marche d’expiation, accompagnée de la Septa et de quelques membres de la Foi militante présents pour empêcher que la foule déchaînée ne se rapproche trop près de la Reine déchue.

C’est ici que la saga à l’univers médiéval fantastique croise l’histoire, car il semblerait que George R. R. Martin se soit inspiré de cas authentiques, la marche expiatoire étant une pratique répandue dans l’histoire européenne.

La justice médiévale et les adultères

Déjà dans le droit romain édicté durant la République romaine, puis dans les codes de lois germaniques du haut Moyen Âge, l’adultère était condamné. Par après, c’est le discours clérical sur le péché de la chair et sa vision de la femme comme étant par nature tentatrice et pécheresse qui vont impacter négativement l’évolution du droit civil et des procédures pénales. Durant le Moyen Âge, les châtiments visant à humilier ou à dégrader la réputation d’une personne deviennent courants.

À la mise au pilori et aux jets d’ordure, s’ajoute la pratique de la « course des adultères », attestée dès le XIIIe siècle, notamment dans le midi, selon les recueils de coutumes des villes méridionales. Cette peine infligée par l’autorité judiciaire urbaine condamnait des amants coupables d’adultère à courir nus dans les rues de la ville sous les moqueries de la population. Avant ça, la femme subissait l’humiliation seule, la poitrine dénudée.

Un professeur de droit de Toulouse commenta en 1296 la portée de « rituel d’inversion » d’un crime adultérin dans une vignette qui illustrait une de ces courses par les sexes nus des amants représentés d’une manière disproportionnée, la présence d’un représentant de la justice et celle d’une trompette publique, indiquant la nature du châtiment et son impact sur la réputation des coupables.

Le sort d’une femme du XVe siècle, coupable d’adultère et condamnée à une marche expiatoire, a pu inspirer celui de Cersei Lannister.

Le cas de Jane Shore (1445-1527)

Ayant fait partie pendant 6 ou 7 ans des multiples maîtresses du roi anglais, Édouard IV, qui la décrivait comme « la plus gaie, la plus rusée et la plus sainte des catins du royaume », Jane Shore fut contrainte par le roi Richard III, en 1483, année de la mort de son protecteur, de faire pénitence publique à Paul’s Cross pour son comportement libertin et de déambuler dans les rues de Londres, cierge à la main, sous les regards attentifs de la population masculine. Il est possible aussi que le fait qu’elle ait hébergé le marquis de Dorset, Thomas Grey, alors qu’il était en fuite, ou que l’antagonisme de Richard envers les représentants de la cour de son frère aîné, Édouard IV, ait eu un rôle dans cette pénitence. Quoi qu’il en soit, selon l’écrivain Thomas More, elle resta digne pendant sa punition, n’arborant qu’une légère rougeur aux joues. À titre anecdotique, la pièce de Shakespeare, Richard III, présente plusieurs allusions à Jane Shore par l’appellation de « Mistress Shore ».

Évidemment, le châtiment enduré par Cersei Lannister est pire : touchée au plus profond de sa féminité et de sa dignité, elle est exposée à la haine de la foule entièrement nue et cheveux rasés…

Mélanie Castermans

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