Le Palais du Pharo : une ville attaque l’Impératrice en justice !

 

Le Palais du Pharo est un des monuments les plus connus de la ville de Marseille. Situé à deux pas du Vieux-Port, il a « les pieds dans l’eau », comme le souhaitait l’Impératrice Eugénie au moment de sa construction. Si elle n’y a jamais habité, la femme de Napoléon III a entretenu un lien tout à fait particulier avec cette résidence.

Tout commence en 1852, lorsque celui qui n’était encore que Prince-Président devient Empereur. La ville de Marseille souhaite attirer le couple impérial et rachète, pour plus d’un million de francs, quinze parcelles de terrain situées sur le promontoire du Pharo. Elle se hâte d’en faire cadeau à la Maison de l’Empereur le 31 octobre 1855, afin que celui-ci puisse y bâtir une résidence privée. L’objectif du maire de Marseille est très clair et à peine dissimulé : faire de sa ville le lieu de repos privilégié de l’un des hommes les plus puissants d’Europe.

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Ébloui par la beauté du site, Napoléon III commence les travaux en 1858. Très vite, la construction pose problème puisque la pierre vient à manquer. Le chantier prend rapidement plusieurs mois puis plusieurs années de retard sur les plans prévus initialement. Marseille, lassée de ne pas voir arriver en ses murs le couple tant convoité, fait don de 250 000 francs pour relancer les manœuvres en 1861. À cette somme s’ajoutent 61 000 francs pour parfaire le système d’arrosage du parc situé aux pieds du bâtiment. Enfin, après douze longues années de travaux, le Palais du Pharo est prêt à accueillir ses nouveaux résidents.

Seulement voilà, en 1870, l’Empereur décide d’attaquer la Prusse et n’a donc pas le temps de prendre des vacances dans sa nouvelle possession. Pire : il est capturé à Sedan et est déchu de son titre. La Troisième République nait le 4 septembre et Napoléon III n’occupe plus aucun rôle d’État. Furieuses, les autorités de la ville de Marseille votent immédiatement le retour du Pharo parmi leurs propriétés. Problème : le gouvernement fédéral les a devancés de trois jours.

Voilà comment débute la bataille pour la succession d’un Palais impérial qui n’a jamais vu ne serait-ce qu’une fois un Empereur dans ses murs. Marseille estime que la propriété doit lui revenir de droit, car c’est elle qui a financé l’achat du terrain. L’ex-impératrice Eugénie voit les choses différemment puisqu’elle est l’héritière légitime de son mari décédé en 1873 durant son exil en Angleterre. Les deux parties tentent de trouver une solution « à l’amiable » durant plusieurs années, mais aucun compromis n’est trouvé. Las de cette affaire, la ville de Marseille entame une procédure judiciaire afin de retrouver son bien.

Le procès s’ouvre le 22 avril 1882 et s’étale sur près d’un mois. La décision est rendue le 17 mai. Une nouvelle fois, les autorités de Marseille déchantent à l’annonce du tribunal : puisque l’achat et l’offrande des terrains qui ont servi à la construction du Palais ont été faits à la personne de Napoléon III et non pas à l’Empereur (la différence est mince, mais fondamentale), le Pharo appartient à titre privé à l’ancien chef d’Etat et non pas à sa fonction. En conséquence, le neveu de Napoléon Ier et ses descendants conservent le droit de propriété sur le bâtiment. Marseille ne lâche pas le morceau et va en appel de cette décision. Malheureusement pour elle, le jugement est confirmé le 30 novembre de cette même année et elle ne pourra plus jamais le contester.

Et c’est là que cette histoire prend une tournure surréaliste et devient intéressante au plus haut point : après dix ans de tractations, de tentatives d’arrangements puis de procès très onéreux, l’ex -Impératrice Eugénie sort enfin vainqueur du conflit qui l’oppose à la ville de Marseille. Enfin, elle est reconnue comme la seule propriétaire du Pharo, objet de toutes les convoitises de la cité phocéenne. Enfin, elle peut en faire ce qu’elle veut. Et sa décision est tout à fait surprenante : pour autant que la ville en fasse un usage public, elle lègue gratuitement le Palais à Marseille !

Toutes ces années de conflit, tout cet argent investi pour en arriver là. Il est fort à parier qu’Eugénie avait planifié ce don depuis longtemps, mais qu’elle souhaitait avant tout montrer à tout le monde qu’elle était encore quelqu’un qui comptait malgré la perte de son titre d’Impératrice.

Le Pharo sert alors d’hôpital durant toute la fin du XIXe siècle. À partir de 1890, la Faculté de Médecine investit les lieux. La dimension étudiante du bâtiment est encore présente à l’heure actuelle puisque le Palais accueille aujourd’hui le siège de l’Université d’Aix-Marseille, en plus d’être un grand centre de congrès.

Inutile de dire que les autorités de la ville phocéenne n’ont pas dû beaucoup apprécier l’attitude d’Eugénie. D’ailleurs, dans l’épais dossier conservé aux archives nationales, il n’est aucunement fait mention de remerciements pour ce cadeau.

Auteur : Arnaud Pitout

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