Divination romaine : auspices, haruspicine et livres sibyllins

 Entre boule de cristal, tarot et feuilles de thé, la divination, de nos jours, est souvent tournée en ridicule. Pourtant, à l’époque romaine, ces pratiques étaient parfaitement intégrées dans la vie quotidienne, et avaient même une importance considérable dans la prise de décisions politique, particulièrement sous la République.

La divination, en effet, est attestée à Rome dès le IIIe siècle avant Jésus-Christ. Du verbe latin divinare, « deviner, présager, prévoir », équivalent de mantike en grec, elle était étroitement liée à la religion, puisqu’elle avait non seulement pour but de prédire l’avenir, mais aussi de donner à voir la volonté des dieux. Toutefois, si les grecs ne prenaient jamais une décision sans s’en référer, au préalable, aux divinités, pour les romains, il s’agissait plutôt de faire avaliser leurs décisions politiques par une instance supérieure.

Pour cela, plusieurs méthodes étaient en vigueur, à commencer par la prise d’auspices, à l’origine de la fondation de Rome. Selon Tite-Live, Romulus et Rémus, afin de décider lequel d’entre eux serait à la tête de la ville qu’ils voulaient fonder, montèrent l’un Palatin, l’autre sur l’Aventin, deux des sept collines de Rome, et procédèrent à l’observation des oiseaux. Rémus aperçut le premier six vautours dans le ciel, tandis que Romulus en vit douze. Il l’emporta donc sur son frère, qu’il assassinat, et devint le premier roi de Rome.

Ils étaient jumeaux, et la prérogative de l'âge ne pouvait décider entre eux : ils remirent donc aux divinités tutélaires de ces lieux le soin de désigner, par des augures, celui qui devait donner son nom et des lois à la nouvelle ville.

Tite Live, Ab Urbe Condita, I, 6

Les auspices, initialement, désignaient donc l’observation du vol des oiseaux dans le ciel. Bien vite, les romains se sont désintéressés de cette pratique, préférant observer les poulets. Comme ceux-ci ne volaient pas, ils leur donnaient de la nourriture. Si les volatiles mangeaient, les anciens en déduisaient que la fortune leur était favorable. En général, les poulets ne se montraient pas difficiles et picoraient allègrement leurs grains. Cependant, il est arrivé que les oiseaux soient moins coopératifs. Valère Maxime, à ce propos, rapporte une anecdote plutôt amusante : un certain P. Claudius, lors de la première guerre punique, comme il s’apprêtait à mener un combat naval, décida de prendre les augures. Puisque les poulets refusaient de sortir de leur cage, il entra dans un colère folle et ordonna de jeter la volaille à la mer. « Puisqu'ils ne veulent pas manger, qu'ils boivent », s’écria-t-il, fou de rage. Bien entendu, suite à cet éclat de colère, sa flotte fit naufrage.

Les romains étaient également très attentifs aux prodiges, c’est-à-dire aux phénomènes inhabituels, pensés comme des avertissements des dieux. La plupart du temps, ces prodiges constituaient des phénomènes météorologiques inhabituels. Que ce soit un orage, une éclipse ou le passage d’une comète, ces intempéries étaient généralement annonciatrices de désastres. De la même manière, la naissance d’un enfant hermaphrodite ou de jumeaux était alors considérée comme un mauvais présage.

Lorsque l’une de ces anomalies était rapportée, le sénat se réunissait et prenait des mesures afin d’apaiser la colère des dieux. On procédait, bien souvent, à un rituel expiatoire, constituant en un sacrifice d’un animal, différent selon le dieu auquel il était offert.

Si les prodiges se répétaient, les romains avaient recours aux livres sibyllins. Au nombre de trois, ils avaient été achetés par Tarquin le Superbe, roi de Rome, et contenaient les prophéties de la Sibylle de Cumes. Celles-ci étaient rédigées en hexamètres grecs, rythme par excellence de la poésie épique. Sous la République, ils étaient entreposés dans le Capitole, jusqu’à ce qu’il ne soit incendié en 89 avant Jésus-Christ. Le Sénat envoya alors des émissaires en Grèce, où certaines de ces prophéties avaient été conservées, afin de reconstituer de nouveaux livres sibyllins.

Les hommes chargés de consulter ces livres étaient appelés les quindecemvirs. Ils choisissaient un vers au hasard, reprenaient la première lettre de chaque mot, et composaient ensuite un acrostiche. Autrement dit, on pouvait faire dire à ces livres tout et n’importe quoi !

En outre, les romains pratiquaient l’haruspicine, pratique ancienne héritée des étrusques qui consistait à observer avec attention les entrailles d’un animal, en vue de prédire l’avenir. Aussi appelée extispicine, elle était systématique après un sacrifice, afin de s’assurer que la bête était conforme aux exigences des dieux. Parmi les organes qui étaient examinés, le foie occupait une place toute particulière. Considéré comme le siège de l’intelligence et des sentiments, il était examiné sous toute ses coutures. En témoigne le foie de Plaisance, foie en terre cuite portant des inscriptions en langue étrusques, divisé en 40 sections dont chacune était associée à une divinité.

Un célèbre extrait de l’Enéide atteste également de cette pratique. Virgile y décrit l’état de confusion dans lequel Didon se trouva après qu’Enée l’eût abandonnée. Désespérée, elle s’encourt au temple sacrifier une vache :

Didon la toute belle, tenant en sa main une patère, verse elle-même le vin entre les cornes d'une vache blanche ou, sous les regards des dieux, contourne l'autel poisseux de sang; elle répète sans cesse les offrandes, et avidement elle consulte dans les poitrines béantes des victimes leurs entrailles palpitantes.

Ces pratiques étaient surtout utilisées par les autorités publiques. Dans la sphère privée, on avait davantage recours à l’astrologie. Toutefois, l’établissement d’horoscope était souvent déprécié dans la comédie, et pouvait même constituer un motif de poursuites judiciaires, si on utilisait ces prédictions pour connaître l’avenir d’un ennemi. Les réticences des romains peuvent notamment s’expliquer par les origines étrangères et serviles des astrologues, issus de Chaldée. Il fallut attendre l’avènement de l’Empire pour que se répande cette pratique.

Pour des raisons analogues, les romains ont longtemps rechigné à consulter les oracles grecs. Ce n’est qu’à partir du moment où l’orient fut conquis qu’ils commencèrent à y avoir abondamment recours. Généraux et hommes politiques romains prirent ainsi l’habitude de se rendre à Delphes, où une prêtresse leur révélait, en des termes nébuleux, leur avenir. Par imitation, les romains ont également construit leurs propres sanctuaires oraculaire, le plus illustre étant celui de la Fortune de Préneste.

Enfin, lorsqu’un romain se trouvait à un tournant dans sa vie, que ce soit sur le plan amoureux ou professionnel, il se saisissait d’un exemplaire de l’Enéide, de l’Iliade ou de l’Odyssée, selon ses préférences, et lisait un passage au hasard. Il ne lui restait alors qu’à l’interpréter et à prendre la décision qui s’imposait. Cette pratique connut un certain succès, puisqu’encore de nos jours, certains chrétiens, remplaçant les écrits païens par une Bible, y ont recours.

Auteur : Elise Vander Goten

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