Élisabeth Báthory, la comtesse sanglante qui égorgea (au moins) 50 fillettes (1611)

La peur de vieillir. Voilà une crainte courante parmi les Humains. Si de nos jours, les crèmes antirides ou les produits à injecter dans la peau pour la rendre plus tendue se répandent de plus en plus, les siècles passés ont offert d’autres remèdes, bien plus difficiles à obtenir et bien plus délicats au niveau éthique. La comtesse Bathory, personnage important du royaume de Hongrie au XVIIe siècle, est allée jusqu’à tuer des centaines de jeunes filles afin de se baigner dans leur sang.
La comtesse Erzébet Báthory, célèbre tueuse en série qui égorgeait des jeunes femmes et des fillettes. Seul portrait réalisé durant la vie de la comtesse, âgée d’environ 25 ans. Domaine public.

Elisabeth Bathory nait le 7 août 1560 dans l’une des familles les plus riches et les plus influentes de Hongrie, mais aussi une des plus marquées par la violence:

deux de ses oncles sont enfermés pour cause de folie du côté de sa mère et des relations incestueuses sont également à noter. Le côté paternel de son arbre généalogique n’est pas épargné non plus puisque sa tante assassine ses deux premiers maris. Une fois son second meurtre réalisé, elle prend la fuite afin d’échapper à la justice et se fait capturer par les Turcs, aux mains desquels elle subit un viol collectif. La famille Bathory est donc frappée de plein fouet
par la violence, mais aucun membre ne s’approchera dans ce domaine d’Élisabeth…

Le comte François Nadasdy (Nádasdy II. Ferenc en hongrois et František II. Nádašdy en slovaque) époux de la comtesse Élisabeth Báthory. Domaine public.

En 1671, alors âgée de 11 ans, la jeune noble est donnée en fiançailles à un garçon de quelques années son aîné, d’aussi bonne famille qu’elle, Ferenc Nadasdy.

Cette union doit marquer le rapprochement entre ces deux familles et les liens tissés sont censés faire d’eux la plus influente des familles du royaume de Hongrie. Élisabeth et Ferenc se marient quatre ans plus tard et leurs proches respectifs organisent de somptueuses réceptions pendant un mois entier afin de célébrer l’événement. En guise de présent, Ferenc offre le château de Cachtice à son épouse.

C’est là que le couple s’installe et tente d’assurer sa descendance. Il s’agit d’une question cruciale, capable de briser les promesses réalisées dans le cadre de ce mariage. Plusieurs années durant, Élisabeth ne parvient pas à tomber enceinte et des doutes s’immiscent dans l’esprit du jeune époux. Heureusement, au bout de neuf ans, le couple attend un heureux événement. Ils auront au total trois filles et un fils, ce qui assure définitivement la survie de leur lignée. Durant toutes ces années, Élisabeth s’ennuie seule dans son château. En effet, Ferenc devient un militaire de tout premier plan et est nommé commandant en chef des troupes hongroises. En cela, il est très souvent appelé à quitter son domicile afin de guider les soldats sur les différents fronts de bataille d’Europe.

Seule et sans activité capable de la divertir durablement, Élisabeth trouve un passe-temps pour le moins original: la cruauté.

En effet, elle se défoule sur ses servantes, en ne montrant jamais un seul signe de compassion pour ses pauvres victimes. Par exemple, si l’une d’entre elles doit recevoir une punition (pour un prétexte souvent futile), il n’est pas rare de voir la comtesse enfoncer des aiguilles dans sa peau. La noble va même jusqu’à enduire une infortunée de miel et la livrer entièrement nue aux insectes de la forêt voisine. Ce comportement très limite effraie de plus en plus les personnes au service d’Élisabeth, mais personne n’ose défier la grande dame. Le seul capable de lui faire une remarque à ce sujet est son mari Ferenc, mais ce dernier laisse faire, car il est trop occupé à se battre et, de toute manière, puisque sa descendance est assurée, il n’a que faire de ce qui se passe au château de Cachtice…

Ruines du château de Čachtice où a vécu et où est morte la comtesse Bathory .Domaine public.

Au tournant du XVIIe siècle, Élisabeth se promène dans la localité de son château, située dans l’actuelle Slovaquie. Elle est accompagnée par son cousin Ladislav et les deux proches discutent de la pluie et du beau temps afin de se changer les idées. Ils croisent une vieille dame et Élisabeth, sans une once de compassion, pose une question à haute voix à son cousin: 

«Que diriez-vous si je vous forçais à faire l’amour à cette vieille femme?» 

Ladislav répond immédiatement: «Cela serait horrible». La vieillarde, qui avait entendu, fixe Élisabeth dans les yeux et lui dit qu’un jour, elle aussi sera dans le même état qu’elle. Ces mots touchent profondément la comtesse, qui a toujours eu peur de vieillir et qui a maintenant la quarantaine.

Elle qui teint ses cheveux bruns en blond pour faire plus jolie, elle qui possède de magnifiques yeux sans aucune ride pour les effacer, elle ne peut se permettre de laisser la nature dégrader son physique. Pour contrer son vieillissement, elle profite d’un voyage à Vienne pour rencontrer des herboristes et leur commander des baumes à appliquer directement sur la peau.

Cela ne lui suffit pas et elle va en plus consulter une sorcière, qui lui donne le secret ultime pour garder la jeunesse toute sa vie. Pour cela, rien de plus simple: il suffit de se baigner dans du sang humain, surtout s’il appartenait à une jeune vierge. L’idée reste dans la tête d’Élisabeth, qui se demande si oui ou non elle va franchir le pas et devenir une assassine juste pour garder une belle plastique.

Ferenc décède le 1er janvier 1604, ce qui fait de sa veuve la femme la plus puissante de la région et personne dorénavant n’a le pouvoir ni la légitimité pour la contester. Elle qui hésitait encore du temps de son mari a pris sa décision: bien évidemment qu’elle va tuer pour conserver sa plastique! Pour l’aider dans son projet, elle monte une équipe sur base des personnes déjà à son service. Parmi ses recrues se trouvent Ficzko, un nain qui ne la quitte jamais, Ilona, la nourrice des enfants et Dorko, une employée du château.

Pour attirer de jeunes filles dans son château, Élisabeth joue de son statut:

elle propose aux familles des alentours d’envoyer leur fille travailler chez elle contre une somme d’argent intéressante. La plupart des paysans voient cette offre comme une aubaine et de l’argent plus facilement gagné que dans les champs et acceptent tous d’envoyer leur protégée dans l’enceinte du domaine des Bathory.

Les villageois commencent à s’étonner que, si l’on voit bien des filles entrer dans le château, on ne les voit jamais en sortir.

De plus, des enterrements nocturnes sont organisés fréquemment. Tout le monde a bien une idée de ce qui se trame derrière les immenses murs de la propriété, mais personne n’ose lever la voix pour faire cesser ces tristes événements. Personne, sauf une personne: le prêtre Istvan Magyari, homme d’Église s’occupant de la localité de Cachtice. Dès 1602, il tente de prévenir la cour royale de Vienne, mais les lettres qu’il envoie sont toutes interceptées et détruites. Il décide donc de s’y rendre lui-même, mais est lui aussi stoppé par des hommes de main de la comtesse. Après plusieurs essais, il parvient enfin à rejoindre la capitale et se plaint publiquement du comportement d’Élisabeth en tirant la sonnette d’alarme. Cependant, vu la faible condition des fillettes disparues, l’absence immédiate de preuves et surtout que la comtesse Bathory est une proche du roi Matthias Ier, les autorités judiciaires ne souhaitent pas ouvrir une enquête à son sujet.

Cette situation d’impunité perdure plusieurs années, alors que tout le monde dans la région est parfaitement au courant des événements louches qui se passent à Cachtice. 

Ce n’est qu’au cours de l’année 1610, et parce que la comtesse vise désormais des filles nobles, que les choses se compliquent pour elle. En effet, les familles des petites disparues sont dorénavant d’un tout autre standing et leurs proches souhaitent connaitre la vérité, en plus d’avoir les moyens de l’obtenir. Comme le prêtre Magyari continue de la dénoncer publiquement, et sous la pression des nobles de plus en plus nombreux à se plaindre d’Élisabeth, la cour de Vienne n’a d’autre choix que d’envoyer György Thurzo mener l’enquête. Thurzo est palatin de Hongrie, un poste équivalent à celui de Premier ministre, ce qui fait de lui la deuxième personne la plus importante du pays, juste derrière le roi. Il se rend dans le petit village concerné par l’affaire et inspecte le château. Ce qu’il y découvre dépasse tout ce qu’il a pu imaginer durant son trajet…

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Le 29 décembre 1610, il réalise une première visite des lieux en ne sachant pas si les rumeurs sont fondées ou non. Après tout, il ne s’agit peut-être que de simples ragots de villageois de province. Ce qu’il aperçoit dissipe immédiatement ses doutes: dans les caves du domaine, il retrouve des cages dans lesquelles les petites filles sont, visiblement, retenues contre leur gré.

Des salles de torture remplies de tous les instruments possibles et jonchées de traces de sang se dévoilent au fil de la visite.

Aucune hésitation n’est permise quant aux événements qui se sont déroulés en ces lieux… 
Dans un tel contexte, difficile de nier les faits. Les membres de l’équipe mortuaire sont interrogés un à un, dans des pièces différentes, afin que leurs versions ne soient pas influencées par les autres membres. Indépendamment, ils livrent de nombreux détails horrifiques qui laissent entrevoir ce qui se passait réellement une fois la nuit tombée dans l’ensemble des pièces du château.

Le nain Ficzko avoue avoir tué trente-sept filles de ses mains, aidé par Ilona et Dorko.

La méthodologie semble toujours la même: ils attirent la fillette dans les sous-sols afin que ses cris ne soient pas trop perçus par les autres habitants et la rouent de coups jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse, ou décède de ses blessures. Ensuite, pour récupérer le sang de la victime, l’un des membres coupe les doigts avec des ciseaux et pique les veines afin d’en retirer le maximum de nectar. Pendant ce temps, un fer posé sur le feu rougissait. Une fois à bonne température, le métal est inséré dans la gorge de la défunte, ainsi qu’appliqué sur son visage et son nez. Selon Ficzko, la peau devient souvent toute noire et se déchire sous l’effet de la chaleur, ce qui dégage une forte odeur nauséabonde.

Ilona, la nourrice des enfants d’Élisabeth, avoue sa responsabilité dans la mort de cinquante enfants.

Elle livre quelques précisions sur les massacres auxquels elle participe: selon ses dires, il y a parfois tellement de sang autour du lit de la comtesse qu’ils sont obligés de jeter des cendres sur le sol pour l’absorber.

Surtout, son interrogatoire permet aux autorités d’apprendre que les méfaits d’Élisabeth et de ses alliés ne s’arrêtent jamais. En effet, si la troupe prévoit un voyage, ses membres s’arrangent pour continuer leurs activités dans les lieux qu’ils visitent. C’est de cette manière qu’un groupe de moines en vient à jeter des pierres au cours d’une nuit passée à Vienne, se plaignant du bruit qui émane de la fenêtre de la comtesse. De plus, si le trajet en lui-même est trop long, il leur arrive de torturer et de mettre à mort une fillette directement dans le carrosse.
Dorko est également entendue par Thurzo. Son témoignage reprend les mêmes informations que celles données par Ficzko et Ilona, si ce n’est qu’elle précise qu’Élisabeth se lassait parfois d’utiliser les pinces en argent qu’elle avait fait faire spécialement pour ses crimes. Pour se divertir et sortir de la monotonie de ses méfaits, il lui arrivait parfois de mordre ses victimes jusqu’au sang, remplaçant de cette manière le rôle des pinces.

Un procès est monté en toute hâte et les trois « assistants» de la grande noble sont jugés pour des dizaines d’assassinats, sans que leur nombre ne puisse être précisément défini. 

Il s’ouvre le 7 janvier 1611 et se tient plus pour la forme que pour le fond: tout le monde sait d’ores et déjà que les trois accusés sont coupables des crimes dont on les accuse et qu’ils finiront tous les trois sur le bûcher. C’est en effet la condamnation qui les attend quelques jours plus tard seulement, toutefois avec une légère nuance: Darko et Ilona voient leur peine alourdie par rapport à celle de Ficzko. Ce dernier est décapité puis brûlé, car son jeune âge semble être un facteur qui joue en sa faveur. Les deux femmes, elles, n’ont pas cette «chance»: le bourreau leur coupe les doigts et elles sont immédiatement envoyées au bûcher, encore bien vivantes et conscientes de toutes les souffrances qu’elles peuvent encore ressentir.

Élisabeth quant à elle n’est pas jugée avec ses comparses, grâce à son statut privilégié et aux relations qu’elle entretient avec le roi Matthias Ier. Celui-ci lui octroie en effet une grâce exceptionnelle pour ne pas la voir condamnée à mort, mais ne peut se résoudre à la laisser partir libre, les crimes qui lui sont reprochés étant trop graves et trop nombreux. Elle est donc emmurée vivante dans sa propre chambre: des maçons viennent construire un mur épais à la porte de cette pièce et seule une petite trappe est placée à travers les briques afin d’y glisser de la nourriture. L’intérieur de la chambre est également modifié pour que de petites fenêtres situées en hauteur laissent passer quelques filets de lumière sans que l’occupante ne puisse profiter de la vue.
Elle y vivra, seule et totalement coupée du monde, jusqu’à sa mort, le 21 août 1614.

Comme bien souvent dans de telles affaires historiques, la légende englobe les événements qui se sont réellement passés.
Dans l’affaire Bathory, il est dit qu’un carnet noir aurait été retrouvé dans le château de la comtesse. Ce cahier contiendrait une liste de six cent dix noms, correspondants à toutes les filles tuées par Élisabeth et ses amis. Cet élément n’a jamais été sorti au procès, ce qui nous permet de douter de son existence.
Néanmoins, nous ne serions pas à une surprise près lorsqu’il s’agit d’évoquer Élisabeth Bathory, l’une des tueuses les plus prolifiques de l’histoire.

 

Arnaud Pitout

Le film La Comtesse (2009)  raconte la légende d’Erzébet Bàthory, surnommée « La comtesse sanglante ». Avec Julie Delpy, Daniel Brühl, William Hurt et Anamaria Marinca.

L’AUTEUR

Né à Mons, en Belgique, en 1993, Arnaud Pitout est passionné d’Histoire depuis son enfance. Au cours de ses études secondaires, il en fait son option principale et décide de se lancer dans des études universitaires dans cette branche. En 2016, il décroche son diplôme de master dans cette discipline et l’enseigne depuis plusieurs années aux futures générations dans différentes écoles du Hainaut. Toujours attiré par la vulgarisation, intéresser le grand public à l’Histoire est depuis longtemps son objectif. En continuité avec sa participation au site Curieuseshistoires.net, il se lance maintenant dans la grande aventure de la rédaction de son premier ouvrage.

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