Service « à la française »
La table perdit progressivement son côté temporaire et les salles à manger permanentes firent leur apparition dans les châteaux et maisons de maîtres, pour se généraliser au XVIIIe siècle.
Héritier du grand couvert de Louis XIV, le service «à la française» se caractérisa par des plats nombreux et divers, appelés « services », au nombre de trois. Ceux-ci étaient apportés par vagues successives par un balai d’officiers de bouche sur des espèces de brancards pourvus de réchauds. Après chacun des services (potages et entrées, viandes – rôts – et salades, entremets, fruits), les tables étaient débarrassées. La place des convives, disposés hiérarchiquement en fonction de leur titre, déterminait les plats dans lesquels ils pouvaient exclusivement puiser. La qualité des mets perdait progressivement en raffinement jusqu’aux bouts de table. C’était une manière pour le seigneur-hôte de promouvoir ou de rétrograder un convive de manière à la fois visible et détournée.
L’actuelle gastronomie française trouve aussi son origine à la fin du XVIIe siècle, quand on renia les usages culinaires du Moyen Âge. Finis les plats systématiquement et fortement épicés à toutes les sauces, la double cuisson des viandes, qui étaient généralement bouillies avant d’être rôties, les mélanges sucrés-salés. Banni le porc, jugé «chair grossière», en tout cas salée ou fumée, jusqu’à ce que la Palatine parvienne à introduire des mets typiquement allemands à la cour. Abandonnées les saveurs que l’on qualifie de travesties, au profit du naturel et de la fraîcheur. À la cour et chez les nantis, le poisson était amené la nuit même de la Manche par les chasse-marée. On connaît l’épisode célèbre de Vatel, célèbre maître d’hôtel du duc de Condé, qui se suicida de désespoir parce que le poisson n’était pas arrivé le jour de 1671 où son maître recevait Louis XIV, à moins que ce ne fût un prétexte. Finis aussi les tranchoirs. L’assiette individuelle, exclusivement en étain, or ou argent, fut introduite en France en 1653 par Mazarin, mais le peuple se contentait toujours de poteries.
Fastueux, le service «à la française» se maintiendra jusqu’à ce que, en 1810, le prince Kourantine, ambassadeur de Russie à Paris, inaugurât un changement radical dans l’art de la table. Le service « à la russe » supprimait le choix individuel puisqu’un seul plat était présenté à la fois. Le convive était invité à se servir lui-même. Les verres étaient posés sur la table avant l’arrivée des invités et les couverts se dédoublèrent ou se triplèrent. Le tout devait être disposé selon les règles strictes de l’étiquette. Il fallait en outre s’assurer, éventuellement à l’aide du double décamètre, que chacun disposât bien des 70 centimètres de bord de table nécessaires pour manger à l’aise.