René Coty : le passeur de flambeau

Coty assista aux premières pertes de l’empire colonial (Indochine, Maroc, Tunisie) et au début de la guerre d’Algérie. Doué d’un sens aigu de l’État, il s’effaça volontairement pour céder la place au général de Gaulle, facilitant ainsi la transition entre la IVe République épuisée et la Ve.

Portrait

Avant d’être élu président, le 23 décembre 1953, à l’âge de 71 ans, Coty était avocat et liquidateur de sociétés commerciales au Havre, sa ville natale. Son métier, il allait le poursuivre au service du régime. Son physique de Viking, sa taille imposante, adoucie par un sourire bienveillant et un regard franc, ne pouvaient que séduire. Amène, consciencieux, désintéressé, honnête et galant homme, ce mari, père, grand-père, puis arrière-grand-père était apprécié par tous ceux qui le côtoyaient. La simplicité caractérisait le couple présidentiel. Comme au temps de son séjour au quai des Fleurs, lui et sa famille se réservèrent seulement quatre pièces, au premier étage de l’Élysée. Habitué à se servir lui-même, il fit le moins possible appel aux domestiques. Son épouse, Germaine Corblet, était elle-même une ménagère experte, tout sourire. « Demandez donc à Germaine », disait fréquemment René à son personnel. « N’avez-vous pas vu René ? », interrogeait souvent Germaine. Le couple avait la passion des fleurs, son seul luxe, qui embellissaient le parc où jouaient ses dix petits-enfants et multiples arrière-petits-enfants. La musique était un autre hobby de Coty puisqu’il était lui-même violoniste. Il lui était bien nécessaire pour mieux encaisser les coups de boutoir incessants de la vie politique. C’est lui, en effet, qui eut jusque-là la tâche la plus compliquée de l’ère élyséenne, hormis celle de Poincaré.

Il fit preuve de beaucoup de courage. Après le décès de sa femme tant aimée, en 1955, il poursuivit son mandat jusqu’à ce que la gestion de l’État devînt impossible. Il fallut alors se résoudre à faire appel à un plus grand format : un certain de Gaulle…

Au moment de quitter sa fonction, Coty reçut, à l’initiative de Radio Luxembourg, 300 000 lettres de citoyens lui témoignant la même reconnaissance : « Merci, Monsieur Coty ! »

La bonne Madame sans Gaine

Quand le président fut élu, à sa grande surprise, il fut emmené triomphalement à l’Élysée, vêtu d’un costume fripé, la cravate de travers. Pendant ce temps, des journalistes – pour qui il était pratiquement inconnu – se précipitèrent à son domicile et eurent la chance de tomber sur sa corpulente épouse, qui s’excusa de les recevoir les mains enfarinées : Germaine préparait une tarte pour son bon René ! En apprenant la nouvelle, elle gagna déjà la sympathie de la nation parce qu’elle déclara gentiment que « sa famille allait s’agrandir de tous les Français ». On la vit souvent revêtue du vison que son mari lui avait offert pour « faire présidente ». Certains l’avaient appelée « Madame sans Gaine ». « Surtout sans scandale », répondit-elle un jour. Mais elle conquit tous les cœurs par son sourire, son infinie gentillesse de mamma aux contours généreux, qui donnèrent de la matière aux humoristes et chroniqueurs. Elle les découragea par ses trésors de bonté et de simplicité, dont elle fit preuve à l’Élysée. Ainsi eut-elle la délicate attention de faire porter du café aux gardes frigorifiés dans leurs guérites. Quand on lui dit qu’il n’y avait pas de crédits affectés à cet effet, elle répondit de les prendre sur la cassette du président. Elle déclara la même chose à l’administrateur du Mobilier national, désargenté, lorsqu’elle voulut remplacer le lit de Louis XVI dans lequel avait dormi le prince Berhnard des Pays-Bas et qui s’était avéré beaucoup trop court pour lui. Quand un lit plus grand fut installé, il servit d’abord au minuscule négus, Halié Sélassié ! Le changement avait été d’autant plus inutile que le valet de chambre avait trouvé l’empereur éthiopien couché par terre, sur le tapis. Le lendemain matin, il certifia avoir fort bien dormi.

Lors des visites officielles, le président ne se serait jamais déplacé sans sa femme, mais elle succomba au surmenage, victime d’un infarctus. Le 11 novembre 1955, la nation perdait une présidente et une mère. À l’Élysée, les télégrammes de condoléances arrivèrent par sacs entiers de toute la France et 35 000 personnes défilèrent devant son catafalque.

Conseil des ministres de bas étage

Le gouvernement de Guy Mollet réussit à se maintenir seize mois, un record sous la IVe République, alors qu’il était miné par la guerre d’Algérie. En 1957, il en était question chaque semaine au Conseil des ministres et les empoignades n’étaient pas rares. Ainsi entendait-on Lacoste crier : « Va te faire enculer » et Gaston Déferre répondre : « Je t’emmerde ! »

Dédain notoire pour un ex-président de trottoir

Le 8 janvier 1959, à l’issue de la cérémonie de passation du pouvoir présidentiel à l’Arc de triomphe, de Gaulle redescendit en voiture les Champs-Élysées en oubliant Coty sur le trottoir ! La IVe République était bien morte…

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