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Valéry Giscard d’Estaing : la prestance d’un président… pharaonique !

Fondateur du groupe des Républicains indépendants (1962), ministre des Finances sous la présidence du général de Gaulle et de Pompidou, Giscard d’Estaing fut président de la République pendant un seul mandat (1974-1981), puis président de l’U.D.F. – qu’il fonda en 1978 – de 1988 à 1998. En politique étrangère, il renforça notamment l’axe Paris-Berlin pour favoriser l’Union européenne et maintint la politique proarabe initiée en 1967. À la suite du sommet de Laeken, en 2001, il présida la Convention chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution pour l’Europe élargie à 25 États, rejetée par les Français le 29 mai 2005.

Portrait

Valéry était un garçon surdoué pour les études, y compris musicales. Sa mère fut sans doute la première à croire en un grand… destin ! Son professeur de piano avait décelé en lui une vocation de virtuose. Mais les cours furent stoppés, car ses parents souhaitaient pour lui une vraie carrière ! Néanmoins, l’Auvergnat continua à jouer, avec une grande maîtrise, une autre sorte de piano, à bretelles celui-là : il en témoigna devant les caméras de télévision.

Élu avec seulement 50, 80 % des suffrages, l’accordéoniste devenait, le 19 mai 1974, à 49 ans, le premier président sans prédécesseur vivant. Ce polytechnicien était grand, mince, osseux, le front déjà dégarni, raffiné, cultivé, secret et autoritaire.

Raymond Barre l’a jugé ainsi :

« C’est quelqu’un pour qui j’ai sur le plan intellectuel une grande estime. C’est une très belle intelligence. Mais c’est plus un esprit de géométrie que de finesse. C’est une intelligence mécanique. […] Il a un bon jugement. Mais il ne faut pas que sa personne soit en jeu. Si sa personne est en jeu, c’est Narcisse. Cela dit, je ne l’ai jamais vu affronter une crise. Parce que la sidérurgie et le reste, c’est moi qui ai pris !»

Monique Pelletier en a conclu que, « en fait c’est quelqu’un qui a tout compris intellectuellement, mais dans ses tripes, n’a rien compris ».

Téteur hors normes

Quelques jours après la naissance de Valéry à Coblence, le 2 février 1926, sa mère confiait à une amie : « Cet enfant n’est pas comme les autres, il ne tète pas comme les autres… » Fantasme maternel ? En tout cas, May Giscard d’Estaing eut toujours beaucoup d’ambition pour son fils aîné dont on a dit qu’il avait été marqué par une enfance surprotégée.

Obsession des réformes

Il fut obsédé par le changement. Ses réformes furent souvent marquantes, comme la majorité à 18 ans ou la législation sur l’avortement, mais aussi tatillonnes, par exemple le remplacement du shako des Gardes républicains par un képi ou l’adoption pour des serveurs d’une livrée inspirée d’un dessin anglais. Il voulut même ralentir le tempo de La Marseillaise pour revenir au rythme voulu par Rouget de l’Isle en 1792, et même en changer les paroles, jugées trop guerrières. Mais sur ce thème, il dut battre en retraite. En 2005, il fut à nouveau officiellement débattu, mais il n’y a toujours rien de changé.

Aristocrate démocrate

Premier président à porter un nom à consonance aristocratique, racé comme un haut lévrier (1,89 m), il chercha à accréditer une ascendance royale par une femme de chambre de la fille aînée de Louis XV. Son épouse n’est rien moins qu’Anne-Aymone de Brante, descendante d’une fille naturelle du duc de Berry. On a écrit de lui qu’il se comportait en roi ou en pharaon. Un jour que les membres du gouvernement restaient assis quand il entra au Conseil des ministres, au salon Murât, il les réprimanda :

« Messieurs, si c’était le roi, vous seriez encore debout. » Il instaura une véritable étiquette monarchique à l’Élysée. Ainsi, lors des repas ordinaires, il se faisait toujours servir le premier, même avant les femmes, y compris la sienne ; et quand il ne recevait pas alors un hôte de marque, il laissait la place en face de lui vide. « J’ai dîné à côté du trou », ricana un jour un ministre invité à sa table. Quand il fut chargé de présider la commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution européenne, il exigea toute une suite dans un palace bruxellois et un pactole. Pourtant, ce prince déploya des trésors d’imagination pour désacraliser l’Élysée auprès des Français, qu’il voulait « regarder au fond des yeux » pour s’en rapprocher. Comme maints hommes politiques, il tenait à montrer qu’il n’était ni guindé ni vieux jeu. Quand il était encore ministre, Giscard n’hésitait pas à se montrer en pull-over à la télévision. À la cérémonie de son investiture présidentielle, il avait invité les enfants d’une école de Courbevoie. Il arriva à l’Élysée à pied, en veston, se laissa remettre sur un coussin le grand collier de la Légion d’honneur, mais refusa de l’enfler. C’est donc en costume ordinaire qu’il posa pour la photo officielle sur le perron du palais, sans frac ni cordon, alors que même de Gaulle, qui détestait les froufrous, avait sacrifié à cette tradition. La même année, à Noël, il reçut à nouveau des enfants et, devant le sapin, leur fit un numéro. Au Nouvel An, il invita les boueux de son quartier.

La famille du président fut la première à ne pas résider du tout à l’Élysée. Lui-même n’y logeait qu’exceptionnellement. Le soir, il rejoignait son domicile de la rue de Bénouville, généralement seul au volant de sa propre voiture.

Ses deux innovations les plus mémorables furent celles d’inviter les Français à l’Élysée et de se faire inviter chez eux. La première initiative n’eut lieu qu’une fois, le 14 juillet 1977, pour des raisons de sécurité. Il accueillit lui-même sur le perron les milliers de Parisiens qui faisaient la file depuis la Concorde, leur fit les honneurs de la maison, groupe après groupe, serrant une multitude de mains, comme Anne-Aymone, qui attendait tout sourire les visiteurs dans un salon. « Giscard à la barre » de son navire paraissait heureux et fier de montrer lui-même les pièces de ce palais qu’il avait eu la passion de faire entièrement restaurer, avec goût, en commençant par le débarrasser du décor moderne qu’il n’aimait pas et que son prédécesseur y avait introduit. Pour ce grand classique, l’ameublement devait s’accorder avec le cadre architectural.

Quant aux repas chez l’habitant, ils avaient lieu dans les ménages de Français moyens qui en avaient fait la demande, triés sur le volet parmi des milliers, après enquête minutieuse et discrète. On pouvait parfois lire des lettres pittoresques du genre :

« Venez donc dîner à la maison. En même temps, vous m’aiderez à remplir ma déclaration d’impôts. »

La condition essentielle était d’exprimer des préoccupations sociales, sans animosité. Le président arrivait au volant de sa propre Citroën, généralement accompagné de sa femme. Ils savaient mettre leurs hôtes à l’aise, se montrer sympathiques, écouter leurs doléances avec attention, puis les laissaient sous le charme. Mais avec l’ensemble de ses concitoyens et de ses collaborateurs – qui le surnommaient parfois « le cobra » –, le courant de sympathie, au sens étymologique du terme, passait mal. « Son problème, c’est le peuple », a dit de lui de Gaulle. Pour cet homme d’allure froide, le drame fut d’être mal aimé. Selon Raymond Barre, il a « une grande sensibilité féminine et le désir d’être aimé. Mais aimé, pas apprécié, non, aimé. Il réagit à tous les moments. Ce n’est pas quelqu’un qui est capable de tenir le coup dans l’épreuve. D’ailleurs il l’a montré. » Ainsi, lors de la passation des pouvoirs, quand il quitta l’Élysée à pied et qu’un groupe de partisans du nouveau chef d’État le hua, il en fut fort affecté. Dans ce cas, on peut le comprendre…

Pas le monopole du trône

La simplicité dont il a voulu témoigner pendant tout son septennat parut moins naturelle lors de sa dernière allocution télévisée, le 19 mai 1981, après avoir été battu par Mitterrand. Il n’avait plus dans ses cartouches de formule-choc, telle que « vous n’avez pas le monopole du cœur », qui avait contribué à évincer son adversaire. Après quelques propos brefs, il se leva majestueusement de son fauteuil. Pendant quelques instants, la caméra fixa le trône vide de celui qui avait pris pour épouse une descendante de Louis XV, qui aurait tant voulu aussi être « bien aimé ».

Ensuite, VGE n’a eu de cesse de régler ses comptes avec ses collaborateurs et alliés qu’il avait « faits », puis qui, l’un après l’autre, s’étaient montrés ingrats en s’éloignant de lui. La raison de leur attitude, pour Abadie et Corcelette, est qu’il n’a jamais compris qu’il ne pouvait y avoir de reconnaissance en les traitant avec suffisance et mépris. « Giscard, écrivent-ils, a toujours joué pour lui et pour lui seul, c’est pour cela qu’il a fait savoir à François Mitterrand en 1986 que Jacques Chirac ne devait pas être Premier ministre… Et en 1988, alors qu’il aurait pu avoir fierté à soutenir à l’élection présidentielle celui qui l’avait sorti de l’anonymat, Raymond Barre, il a surtout refusé l’idée que Raymond Barre puisse s’estimer aussi compétent que lui et puisse briguer la magistrature suprême. C’était un crime de lèse-majesté… » Vraisemblablement aurait-il pu revenir à l’Élysée en 1988 s’il avait suivi le conseil de se retirer du théâtre de la vie politique quelques années. Mais cela semblait impossible pour lui. « Sa drogue, c’est le devant de la scène, que ce soit la télévision, la radio ou les colonnes du Figaro. Et il a le sentiment de perdre quelque chose si d’autres occupent l’estrade. »

Depuis 1981, VGE a toujours une bonne raison de se battre, car c’est sa raison d’exister.

Un de ses collaborateurs a écrit : « J’aurai connu à l’Élysée trois monarques : de Gaulle, un Capétien, Pompidou, un Orléans, Giscard, un Valois.» Il reste « un Bourbon » pour qualifier le suivant…

Mathilde

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