Zorro n’a pas eu besoin d’exister pour devenir éternel !

Par Christian Vignol​

Il y a un siècle que le Z fulgurant a zébré l’écran pour la première fois. Depuis, plus de quarante visages se sont succédé derrière le masque légendaire. Mais le héros n’a pas vieilli d’une ride. Au moral comme au physique, il est resté fidèle à lui-même et à son idéal de justice, en dépit des nombreux accommodements, souvent saugrenus, auxquels l’ont soumis quelques réalisateurs brouillés avec la vérité historique.
Mais peut-on vraiment parler de vérité historique à propos de Zorro ?
Ce personnage, qui a fasciné plusieurs générations, a-t-il pu exister ailleurs que dans l’imagination d’un romancier ou les scénarios des cinéastes hollywoodiens ? Il est vain, semble-t-il, de chercher d’autre fondement à son existence que le contexte historique originel dans lequel on l’a fait naître.
C’est en 1919 que le fameux vengeur masqué fit son apparition dans la littérature, sous la plume d’un écrivain américain, un certain Johnston McCulley. En écrivant The Curse of Capistrano (Le signe du Capistrano), celui-ci ne se doutait pas de l’ampleur universelle qu’allait prendre son héros. L’auteur se serait inspiré de l’existence semi-légendaire d’un hidalgo californien qui aurait combattu les abus et les spoliations que subissait le petit peuple des fermiers de la part des conquérants américains.
Sous les traits d’un cavalier mystérieux et intrépide, vêtu de noir de la tête aux pieds, le visage dissimulé par un loup de la même couleur, naissait pour la postérité une nouvelle créature d’élite, mélange de d’Artagnan, de Robin des Bois et de Don Quichotte. Un Don Quichotte turbulent et vindicatif, ne s’encombrant pas de la présence d’un Sancho Panza, un justicier solitaire et invincible, terreur des méchants, protecteur de la veuve et de l’orphelin, défenseur des opprimés, idole des minorités souffrantes.
Là où règne le mal et la persécution, Zorro arrive, Zorro est là. Et tout s’arrange. Le bon droit triomphe à nouveau. Le shérif véreux est confondu, la brute qui martyrisait la jeune ingénue tremblante se retrouve le nez dans la poussière, le fermier dépossédé retrouve sa terre…

Johnston McCulley avec Guy Williams, acteur interprétant Zorro dans la série de Disney

À chaque époque ses héros…

Chaque époque a connu ses héros. Il n’est donc pas impossible qu’en ces temps-là, un généreux mercenaire des bonnes causes, épris d’ordre et de justice, ait fait vœu de lutter contre cette vague de terreur et d’oppression qui déferlait sur la Sierra Nevada, de Monterrey à Sacramento.
Même fictives, les origines du célèbre homme en noir et masqué sont autant mexicaines qu’américaines et remontent à la période la plus tragique des relations entre ces deux pays.
Le créateur de Zorro situe les aventures de son héros au milieu du XIXe siècle, entre les années 1820 et 1840.
Le Mexique, riche colonie espagnole, venait de conquérir son indépendance au prix d’une lutte sanglante et héroïque avec l’Espagne.
Mais une nouvelle guerre sans merci succédait bientôt à la première, dont l’enjeu était cette fois le tracé des frontières séparant le Mexique de son puissant voisin, les États-Unis, et qui devait aboutir, en 1848, à l’annexion par les USA de la Californie du Nord, du Nouveau-Mexique et du Texas.

Quand la Californie cessa d’être un paradis…

Pendant ces années de troubles et de chaos, la Californie cessa d’être un paradis terrestre, une terre promise. L’injustice et l’insécurité y régnaient en maîtres. Des bandes organisées parcourent le pays, tuant, pillant, rançonnant en toute impunité. Les règlements de comptes n’en finissent plus. La corruption s’est infiltrée partout : gouverneurs, shérifs, magistrats, personne n’est plus digne de confiance.
Les pauvres souffrent, comme toujours. Les petits fermiers, sans défense, sont les plus frappés. Leurs terres sont brûlées, dévastées, leur bétail enlevé.
Un tel climat de violence et d’illégalité devait, on le comprend, alimenter pour longtemps les traditions et le folklore de cette vaste région et inspirer pour des décennies les romanciers autant que les futurs auteurs de westerns.

Ils ont vraiment existé !

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Dans l’attente du « Z » infamant…

Un héros tel que celui imaginé par Johnston McCulley était bien fait pour enflammer les imaginations. Sa morale, simple et expéditive, allait droit au cœur des foules.
Le thème de ce premier roman se situe dans la banlieue de Los Angeles : rentré d’Espagne où il a fait ses études, le fils d’un respectable notable californien, don Alexandre de la Vega, décide de prendre la défense des plus pauvres de ses concitoyens, exploités et persécutés par les autorités en place. Pour donner le change à tous ces militaires et grands propriétaires corrompus qu’il va prendre pour cibles, le jeune justicier feint d’être une sorte de pleutre, piètre cavalier, maladroit au maniement des armes, indifférent à la politique. Son fidèle complice est un serviteur muet, le seul dans le secret, qui l’aide à épier l’ennemi et à déjouer ses complots.
Mais dès que le jeune héros décide de passer à l’action, derrière le masque et le casque, se cache un redoutable escrimeur, capable des acrobaties les plus audacieuses, des cascades les plus vertigineuses. Son épée autant que son fouet font mordre la poussière à tous ses adversaires. Son superbe étalon noir, Tornado, lui permet à chaque fois d’échapper avec arrogance à ses poursuivants, humiliés par le « Z » infamant dont il signe chacun de ses exploits.
Sa sempiternelle tête de Turc est le bedonnant sergent Garcia qu’il s’amuse à mystifier et à ridiculiser à l’infini.

À la conquête du monde

Dès 1920, Zorro (en espagnol : le renard) partait à la conquête du monde entier. Même s’il n’avait jamais existé auparavant,
il allait devenir immortel.
Dès 1939, la bande dessinée s’empare de lui et diffuse ses multiples péripéties dans une foule de périodiques pour enfants, aux États-Unis comme dans le reste du monde.
Au fond des salles noires, des millions d’enfants, et même de grands enfants, vont commencer à vivre et à trembler au rythme des sabots de son cheval, au claquement de son fouet, dans l’attente du « Z » fulgurant qui marquera au front tous ceux qui refusaient de prendre le chemin du bon droit et de la justice.
C’est Douglas Fairbanks senior qui eut le privilège et la gloire d’incarner le premier Zorro pour son départ à l’écran dans
Le signe de Zorro. « Doug » était alors aux USA un des acteurs les plus complets et les mieux payés de sa génération et du jeune cinéma muet : à son physique de jeune premier, il joignait beaucoup de désinvolture et beaucoup d’humour. Mais il s’affirmait aussi comme un acrobate et un athlète de première force.
Une sorte de cascadeur de l’époque. Comme il avait fait merveille dans Le voleur de Bagdad et Le pirate noir, il fut également le « Zorro » le plus authentique de l’histoire du cinéma.
Son sourire étincelant sous la fine moustache de Don Juan, son regard plein de feu brillant par les trous du masque le rendaient irrésistible. Chemise ample, pantalon collant noir, large ceinture de soie autour de la taille, l’habit de Zorro lui allait merveilleusement bien et soulignait encore son étonnante souplesse. Doug devint alors l’idole des idoles du cinéma muet. Son duel au sabre avec un gouverneur félon reste un des grands moments du cinéma de cape et d’épée.

Premier cascadeur de l’écran

Douglas Fairbanks, tout à la fois acteur et cascadeur, spécialiste du grand frisson, recula les limites des risques pris jusque-là à l’écran.
Galopades furieuses, duels acrobatiques, bonds de cinq mètres au-dessus des précipices, Zorro a mêlé le spectacle du cirque à celui du western. Il saute d’un train sur un cheval, d’un cheval dans la rivière, et, sans reprendre son souffle, jaillit au dernier moment dans un grand fracas de vitres brisées, dans le repaire des méchants, pour voler au secours de l’ingénue tremblante de peur.
À la suite d’une loi américaine sur les publications destinées à la jeunesse, qui interdisait tous les héros masqués, Zorro disparut un moment des illustrés et des bandes dessinées. Mais le cinéma ne l’oubliait pas. Un remake du Signe de Zorro était réalisé en 1940. C’est à Tyrone Power, autre coqueluche d’Hollywood et alors au comble de la célébrité, que fut confié le soin de reprendre le difficile héritage de Douglas Fairbanks.
Tyrone apporta à Zorro cette allure aristocratique de grand d’Espagne, qui ajoutait encore au personnage du mystère et de la distinction. Il adopta le sombrero de feutre noir, mais conserva le célèbre fouet et, bien entendu, l’épée qui restait l’arme noble. Pour le reste, c’était le même sourire séducteur, le même charme romantique, les mêmes qualités de cœur, le même idéal de justice.

Des Zorro à toutes les sauces

Il est possible que, depuis 1940, les aventures de Zorro auraient fini par s’essouffler si elles n’avaient été, au cours de ces dernières années, mises à la sauce de divers réalisateurs imaginatifs.
Dans la quarantaine de Zorro qui se sont succédé sur le grand et le petit écran, que de métamorphoses ! Et pas toujours très heureuses.
Le célèbre vengeur masqué fut souvent appelé à déserter sa Sierra Nevada natale pour s’égarer au Texas d’abord, où il devint « le diable noir », sous les traits de Curtis Ken ; en Arizona ensuite, où « le justicier masqué », incarné par Clayton Moore, avait pour mission de venger son frère et recevait pour la circonstance l’aide d’un précieux compagnon, l’Indien Tonto ; au Nouveau-Mexique enfin, pour lutter contre les Cosaques, dépêchés en 1840 contre les vigiles américains !
Mais, bientôt, on obligea le héros masqué à sortir de son époque. Dans Zorro et les trois mousquetaires, c’est l’ex-Tarzan Gordon Scott, en pourpoint et chapeau à plumes du XVIIe siècle, qui lui prêtait sa carrure et son épée. Zorro continuera ensuite à en voir de toutes les couleurs : dans Le Cheik rouge, revêtu d’une gandoura écarlate et doté de la puissance athlétique de Channing Pollock (voué à tous les rôles de justicier, puisqu’il fut aussi Rocambole et Judex), il se voyait transporté dans le brûlant Orient, à la poursuite d’un tyran implacable faisant trembler sous son joug les populations des oasis.
Rien n’empêchait plus de situer un épisode de la vie de Zorro à la cour du roi d’Espagne au temps de Philippe II. Ce fut le sujet de Maciste contre Zorro, tourné dans les studios romains de la Cinecitta.
Pierre Brice prêtait sa silhouette à l’élégant cavalier masqué, qui se consolait de tant de dépaysement dans les bras de la reine Isabelle, tandis qu’Alan Steel incarnait de son côté l’indestructible Hercule.
Le héros mexicain du vieux romancier Johnston McCulley eut-il jamais un rejeton ? Mystère. Le cinéma se permit de lui en donner un à tout hasard. Dans Le fils de Zorro, le très jeune George Turner contait fleurette à une cow-girl sexy, Peggy Stewart.

La nostalgie des Zorro d’autrefois

Sans doute, le même souffle épique animait-il ces nombreuses moutures cinématographiques mais, au fond des salles obscures, un large public gardait la nostalgie des Zorro d’autrefois.
C’est à Sean Flynn (le fils d’Errol) que fut confiée la tâche de rendre justice au justicier en tournant une nouvelle version – la troisième – du célèbre « Signe ».
Fin sabreur, brillant cavalier, Sean ressuscita brillamment la performance de Douglas Fairbanks senior, tout comme aurait pu le faire son propre père. À propos de ce dernier, il est amusant de rappeler que le bel Errol rêva toute sa vie d’incarner le célèbre Zorro, mais qu’il dut à l’époque céder le rôle à son rival Tyrone Power.
Zorro devait poursuivre une fructueuse carrière à la télévision. Linda Stirling, en 1944, fut la première à adapter les aventures du cavalier noir au petit écran. En 1957, le grand Walt Disney s’emparait à son tour du personnage et tournait une série d’une quarantaine d’épisodes. Son Zorro, plus vrai que nature, incarné par le fringant Guy Williams, allait combler de bonheur des millions de téléspectateurs.
D’autres Zorro ont fait à l’écran de fugitives apparitions (il y eut même une version enfant non admis, Les aventures érotiques de Zorro) et d’autres viendront sans doute encore. Mais c’est dans sa pureté originelle que le héros masqué garde aux yeux des foules toute son aura. Il reste l’une des plus authentiques incarnations de la bravoure, de la générosité et de la justice.
Un engouement qui ne s’est jamais démenti, comme le prouve la panoplie de gadgets dérivés de la zorromania que l’on peut trouver dans tous les magasins de jouets.

L’éternelle jeunesse de Zorro

Alors que Tarzan prend du ventre, que Superman ne cesse de perdre de la vitesse, que tant de héros de feuilleton ont disparu pour de bon, le célèbre justicier fait preuve d’une longévité étonnante. Aux USA, le personnage de Zorro continue à faire l’objet d’un véritable culte : des centaines de milliers de dollars sont encore dépensés chaque année pour l’achat d’objets et de gadgets qui évoquent ses prouesses : panoplie, album, disques, accessoires divers.
Zorro continue à bien se vendre. Henri Salvador en sait quelque chose, à qui sa chanson fétiche aurait suffi à le faire vivre au soleil jusqu’à la fin de ses jours.
Zorro a-t-il un secret à tant de jeunesse et tant de réussite ? Peut-être tout simplement d’avoir su rester près de notre âme d’enfant, d’avoir gardé intacte cette meilleure part de nous-mêmes, éprise de justice et de chevalerie.
Les interprètes se succèdent et les visages passent à l’écran.
Mais les vertus qu’ils incarnent demeurent. Et c’est pourquoi Zorro, qui n’a sans doute jamais existé, gardera toujours à nos yeux ce sourire triomphant.

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