Armes biologiques : depuis quand l’homme est-il sadique ?

Les armes biologiques vous évoquent surement le gaz moutarde utilisé durant la Première Guerre mondiale, ou les lacrymogènes, plus inoffensifs. Diffuser un gaz ou une maladie semble être un acte particulièrement sournois, puisqu’il implique une douleur voir la mort, tandis que l’assaillant reste en sécurité. Étrangement, nous préférons la guerre égale, lorsque les deux armées se rentrent dedans dans un fracas monstrueux d’explosions, et où les pertes sont équivalentes. Cet aspect nous parait plus « dans les règles », que ces armes invisibles, qui se diffusent dans l’air et paralysent, tuent, génocident.

De nos jours, les règles, c’est la Convention sur l’interdiction des armes biologiques de 1972 qui interdit le développement, la production, le stockage, l’acquisition et le transfert des agents biologiques, l’utilisation de germes pathogènes ou de toxines en tant qu’arme. Question de morale. Faisons la guerre et entretuons-nous, oui, mais dans les règles de l’art. Ces principes qui autorisent l’horreur tout en interdisant l’atroce sont en réalité nécessaires, car la sournoiserie des armes biologiques n’a apparemment pas de limite. Lorsqu’on observe les cas d’utilisation d’arme biologique dans l’histoire, c’est à se demander si les Hommes pensent à se battre à la loyale avant de contourner les règles, ou l’inverse. Comme si les conflits armés étaient l’excuse de l’expression d’une certaine inhumanité, qui fait d’ailleurs l’objet d’une créativité sans limites…

Tout de suite, un voyage temporel dans l’univers cruel des guerres biologiques :

Dans la bibliothèque

300 av. J.-C. : les archers scythes trempent leurs flèches dans des cadavres en putréfaction pour les rendre toxiques. Les Grecs à la même époque polluent les puits et les sources d’eau potable de leurs ennemis avec des cadavres d’animaux.

1155 : à la bataille de Tortona, le général Barberousse empoisonne lui aussi des puits avec des cadavres de ses propres soldats.

1346 : lors d’un siège à Caffa (actuelle Crimée), les Mongols catapultent des cadavres de leurs propres pestiférés avec des trébuchets à l’intérieur de la cité assiégée. En fuyant vers l’Europe et en particulier vers l’Italie, les mouvements de populations déclenchent la deuxième pandémie de peste noire. Même si la diffusion de la Mort noire était déjà bien avancée en Asie, sa propagation en Europe et en Afrique du Nord a fait environ 25 millions de victimes. 30 à 50 % des Européens ont succombé aux bubons de cette arme biologique en cinq ans (1347-1352).

1495 : pendant la campagne de Naples en 1495, les soldats espagnols donnent aux Français du vin rallongé avec du sang de lépreux, en gage d’apaisement. Si le geste est plus discret que les catapultes, il semble aussi plus perfide.

1764 : Henri Bouquet, mercenaire suisse de l’armée britannique est le bras droit de la colonisation des terres amérindiennes, notamment de la région actuelle de Pennsylvanie. Constatant que les populations indigènes sont particulièrement touchées par les nouvelles bactéries d’Europe, il a l’idée d’offrir à certaines tribus amies des couvertures et des objets infectés de la variole venant d’hôpitaux. On ne sait si l’ordre du général a été respecté, mais une épidémie de variole s’est bien déclenchée et on ne saurait l’attribuer avec certitude à la propagation naturelle. Même si les historiens disposent de peu d’informations sur les populations présentes sur le territoire avant l’arrivée des bateaux colonisateurs, certains estiment que le choc viral provoqué par la présence des Européens a tué 80 % de la population indigène. Quant au général Henri Bouquet, il serait mort un peu plus tard de… la fièvre jaune. Doit-on y voir une vengeance biologique ?

1863 : Pendant la guerre de Sécession, le général Johnston pollue l’eau potable de ses ennemis avec des cadavres de moutons et des porcs. On ne change pas une équipe qui gagne, même après 2000 ans…

1915 : L’Allemagne est accusée d’utiliser le choléra en Italie et la peste à Saint-Pétersbourg pour affaiblir les armées des Alliés. En 1917 on pense qu’ils infectent aussi environ 4500 mules en Mésopotamie avec le bacille de la morve pour déstabiliser les Irakiens, alors alliés des Britanniques. Bien qu’un démenti officiel soit publié, on constate en recoupant des informations que des lots d’ampoules du bacille de la morve avec un plan d’utilisation sont saisis en 1916 lors d’une légation allemande à Bucarest. Oups.

1929 : L’URSS possède un centre de recherche sur les armes biologiques, le Japon trois.

De 1940 à 1944 : l’aviation japonaise répand la peste sur 11 villes en Chine d’une façon particulièrement perverse. Ils larguent des bombes en porcelaine remplies du virus, mais aussi de puces infectées et de grains de riz pour attirer les rongeurs et accélérer la propagation.

De 1941 à 1942 : la Grande-Bretagne expérimente des dispositifs de dispersion de la maladie du charbon sur l’île de Gruinard au nord-ouest de l’Écosse. Le test est concluant et on sait donc que la Grande-Bretagne possède une arme biologique infaillible qu’elle n’a jamais eu l’occasion d’utiliser… L’île qui reste en quarantaine jusqu’en 1986 est complètement désinfectée aujourd’hui.

De 1966 à 1973 : le projet 112 naît sous l’impulsion du président JFK qui entend expérimenter des armes chimiques et biologiques comme alternative à la bombe atomique. Le Canada et le Royaume-Uni participent avec les États-Unis à des tests sur des bateaux ou dans des zones militaires sécurisées, principalement incluant des aérosols. Pour plus de réalisme, les laboratoires expérimentent leurs nouveaux aérosols et la bacilius subtilis est vaporisée dans le métro de New York durant 3 jours. Le test est concluant ! Seulement, après plusieurs analyses des niveaux de contamination possible, il a été calculé que cet agent létal aurait entrainé 12 000 cas d’infections mortelles. Le problème avec les armes, c’est qu’elles ne tuent pas que les méchants.

1997 : Une nouvelle arme bactériologique contenant une forme du virus de l’anthrax, résistant à tous les antibiotiques et qui déclenche une pneumonie mortelle en moins d’une semaine, a été mise au point en Russie. Tant pis pour la convention de 1972.

*

Après tout ça, on est tenté de comprendre que les peuples à l’unanimité et sans évolution au fil des ans sont surtout animés par l’idée de victoire, et que « la fin justifie les moyens » (Machiavel, Le Prince, 1532).

Les années 50 sonnent l’avènement de l’arme atomique qui a le pouvoir d’éradiquer une ville, voir un pays, et qui demeure bien plus contrôlable qu’un virus lâché dans la nature. De plus, les têtes nucléaires appartiennent à l’armée et leurs codes de lancement ne sont connus que par le chef de l’État, tandis qu’une arme biologique implique inexorablement la participation de plusieurs scientifiques et médecins. Ces derniers sont plus volatiles, souvent soumis à une éthique et même corruptibles par les intelligences ennemies. Non, définitivement, rien de mieux pour faire la guerre que l’armée. Et rien de mieux pour trouver des raisons et des moyens de la faire que la nature humaine.

Auteur : Léa Petitdemange

Dans la bibliothèque

Retour en haut