C’est l’histoire d’une bombe, d’une gerboise et d’une Dedeuche

Le point commun entre une bombe et une souris verte 

La France n’est pas la France sans la Grandeur, annonce lors de son appel en 1940 le Général de Gaulle, dans un souci de revaloriser la république qui tombe entre les mains des Allemands.

Au lendemain de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, on ne célèbre pas seulement la paix : on prépare aussi la guerre. La fin du deuxième conflit planétaire sonne le début de la guerre froide, cet affrontement on l’on a de cesse de montrer sa force pour ne pas avoir à s’en servir, celui aussi ou les puissances se veulent les meilleures en s’affrontant sur des terrains de jeux politiques : le sport, mais aussi Berlin, Cuba, les décolonisations.

En 1960, la grandeur de la France n’est plus un principe avancé par le Général au pouvoir pour galvaniser son peuple vers la libération. C’est aussi un prétexte pour tester — au milieu d’un désert d’Algérie qui demeure un département français jusqu’en 1962, tant pis pour lui, l’arme la plus puissante du monde qui a déjà fait ses preuves au Japon… Les essais Gerboise bleue, blanche, rouge et verte sont des essais nucléaires réalisés à Reggane, dans le Sahara. Mais cette période sombre et longtemps tue de la guerre d’Algérie est venue compliquer la tâche noble de l’armée française, celle de s’exercer à progresser dans un environnement ravagé par une explosion atomique, et celle de tester sur des animaux et involontairement sur les populations nomades installées dans le Sahara les effets de la radioactivité. Et tout cela sous le regard ébahi d’un peuple français fier de la puissance militaire de la patrie, qui guettent des nouvelles des essais dans le journal. Il faut bien rivaliser avec les Américains et se préparer, nous aussi, à lancer des bombes sur les autres.

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Gerboise radioactive en 2 CV dans le désert

Dans les années 90, les dossiers jusqu’alors gardés secrets dévoilaient la pratique de la torture, et d’autres aventures heureusement plus cocasses. Parmi les anecdotes que la France n’a pas dû reconnaitre plus tard comme constituant un crime contre l’humanité, celle du dernier essai nucléaire raté, gerboise verte.

En 1961 et alors que le Général de Gaulle annonce à la France sa décision de laisser s’autodéterminer et donc s’autonomiser le territoire algérien, certains Français installés sur ce département et d’autres s’étant battus pour calmer les mouvements indépendantistes depuis 1954 ne sont pas, mais pas du tout satisfaits. Les généraux Challe, Jouhand, Salan et Zeller décident dans la nuit du 21 avril 1961 de s’emparer du gouvernement général d’Alger, de l’aéroport et de la radio avec l’aide du 1er régiment de parachutistes. Cet évènement, qui sera plus tard connu comme le putsch des généraux, est désamorcé en quelques jours, mais à Paris, les services secrets s’affolent : ces cadres de l’armée sont au courant de l’emplacement de la bombe gerboise verte, et pourraient s’en servir pour faire chanter de gouvernement français et réussir leur coup d’État. Des agents se dépêchent donc d’aller chercher la gerboise dans un entrepôt du port d’Alger, et avancent la date prévue pour la réalisation de l’essai. Pour rester discrets, ils décident d’aller jusqu’à Reggane en civil, et c’est ainsi que nait la légende urbaine racontant que les services français acheminent la bombe en pleine nuit jusqu’au milieu du désert en 2 CV ! Plus tard et avec des témoignages, on réalise que les 1500 kilomètres de pistes ont bien été parcourus en catastrophe la nuit du 21 avril avec une résistante petite Deudeuche, mais que celle-ci ne transportait que la charge de plutonium…

Dans un souci de respect de l’adage « vite fait mal fait », on constate aussi que l’essai est un échec cuisant. La bombe qui devait dégager une puissance estimée en 6 et 18 kilotonnes n’en libère qu’un peu moins d’un. Comme cet essai devait être l’occasion de tester les conditions de combat en ambiance nucléaire, pas moins de 195 soldats ont été envoyés vers le point 0 de l’explosion, et ont donc été exposés à des doses très élevées de radioactivité, auxquelles, on le réalise plus tard, leur équipement n’était pas adapté. C’est à cela que servent les tests ! On peut dire avec le recul que les conditions précipitées du déroulement de cet essai et son échec ont probablement sauvé ces soldats, qui auraient dû être exposés à une puissance radioactive jusqu’à dix fois plus élevée…

Polémique ou fake news ?

Le pire, c’est que les gerboises vont continuer à faire parler d’elles. On découvre tout d’abord que les nuages radioactifs dégagés par les quatre essais réalisés à Reggane ont contaminé l’Afrique de l’Ouest jusqu’à Bamako, avant de remonter sur les côtes méditerranéennes de l’Espagne et de l’Italie. De plus, on commence à comprendre la réalité de la guerre d’Algérie et ce dont a pu être capable la France dans sa traque d’un FLN dont la cruauté vaut celle du pays colonisateur… Au moment où la France est choquée de cette cruauté, sort une photo choquante prise pendant l’essai Gerboise verte, montrant des mannequins, têtes encapuchées, attachées à des poteaux avec des sondes, sensés évalués la puissance de la bombe. Il faut savoir que des chars vides et des cages comportant divers petits animaux (rats, chiens, chèvres) étaient positionnés près du point 0 de la bombe, de sorte à pouvoir calculer les effets de l’explosion sur des êtres vivants. Encagoulées, les silhouettes peuvent être des mannequins en plastique comme des membres du FLN. Plusieurs témoignages viennent glacer le sang : des légionnaires de l’armée française parlent en effet d’un regroupement de 150 prisonniers, qui auraient disparu en mars 1960. Après plusieurs enquêtes, on réalise qu’il n’y a aucune preuve de leur exécution, ni même de leur libération. Les effets sur le corps humain de la radioactivité font d’ailleurs partie des domaines dans lesquels la science française balbutie, au milieu d’une guerre scientifique ! Facile de se laisser tenter une légère dérive en ce qui concerne le respect des droits humains… Mais dans ce cas-là pourquoi avoir gardé cette photo, cette preuve compromettante ? Plus tard encore, des journalistes découvrent qu’ils s’agiraient en fait de cadavres. Le mystère reste donc entier à propos de cette image qui, peu importe ce qu’elle peut bien montrer, renvoie à la violence de la guerre d’Algérie, à celle d’un FLN meurtrier qui demeure au pouvoir, à celle d’une armée française dont les actes commis durant la colonisation n’ont rien à voir avec une prétendue grandeur de la France.

Auteur : Léa Petitdemange

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