Des nains pour la liberté d’expression

À quelques heures de route seulement de Berlin ou de Prague, on peut découvrir la charmante ville de Wrocłav, prononcez Vrotswaf (et admirez au passage les joies de la prononciation slave). Dans le sud-ouest de la Pologne, cette ville qui paraît aujourd’hui bien tranquille n’a rien oublié de son histoire riche et de son passé tourmenté, à l’instar de ceux de son pays.

Et les habitants les plus curieux à nous le rappeler ne sont autres que les quelque 400 nains qui peuplent la ville. Tous comme les Wrocłaviens, les nains participent au quotidien de leur cité : vous les trouverez au bord du fleuve Odra, lavant leur linge ; au distributeur ; sur la Grand-Place de la ville à faire la fête ; sur leur vespa, une pizza à la main, dans le quartier italien ; à éteindre le feu qui a ravagé une nouvelle fois la Basilique Sainte-Élisabeth ; ou bien même derrière les barreaux de l’ancienne prison.

Aujourd’hui, pratiquement devenus le symbole de la ville, les nains ravissent les petits et les grands, qui, nombreux, partent à la chasse ou les croisent au détour d’une ruelle. Mais il y a une trentaine d’années, le nain était un symbole de liberté et de révolte.

Dans les années 1980, alors que la ville se plie au joug communiste, les étudiants, fatigués du manque de liberté d’expression, manifestent leur mécontentement en taguant les murs de la ville de divers slogans, que les autorités s’empressent alors de repeindre. De nombreuses taches blanches ornent alors les murs de la ville. Et très vite, les étudiants se rassemblent et forment le mouvement « Alternative Orange ».

Pour lutter contre l’oppression et le quotidien morne qui règne sur la ville, des dizaines et des centaines de nains géants, tous vêtus de combinaisons orange au chapeau pointu, descendent dans les rues et défient le couvre-feu imposé. Les taches blanches sur les murs sont remplacées par de jolis nains, touche d’humour appréciée des habitants en ces temps si maussades.

Le mouvement s’éteint avec la chute du mur de Berlin en 1989, mais fait son retour pour les élections présidentielles de 2001, pendant lesquelles l’on peut assister à des happenings « Votez Nain ! », avec des slogans tels que « votez pour les nains, seuls les nains pourront sauver le pays ».

La même année, le journal polonais « Gazeta Wyborcza » finance la première sculpture commémorative du mouvement : Papa Krasnal, le Papa nain, se dresse fièrement sur son socle dans la rue principale, où le mouvement orange avait pour habitude de se réunir. Depuis, leur nombre n’a cessé d’augmenter, passant d’un à… plus de 400 ! Même si de nombreux filous tentent de les emporter chez eux en souvenir, la police de Wrocłav veille au grain et les protège, n’hésitant pas à les doter de leur propre puce GPS ! Aussi, les nains de Wrocłav et leur histoire ne sont pas prêts de disparaître de sitôt !

« Rendons à César ce qui appartient à César » : je remercie mon guide local Piotr Łącki qui partage avec les nombreux touristes son amour pour cette ville qui est la sienne depuis sa plus tendre enfance, et n’omet pas ses anecdotes les plus farfelues.

Auteur : Florence Monnaie.

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