Nietzsche interné en asile d’aliénés car il se prenait pour la réincarnation du Christ

Après une vie entière de tourments physiques, le voyage sans retour de l’immense philosophe allemand.

Turin, jeudi 3 janvier 1889. Les sabots des chevaux résonnent sur les pavés. Les passants se pressent dans le froid hivernal. Dans une rue, un cocher se fâche contre son cheval qui refuse d’avancer. Brandissant son fouet, il le frappe à coups redoublés. La lanière claque sur la croupe de la pauvre bête. Soudain, un homme qui passait par là et a vu la scène s’approche de l’équipage. Sans un mot, il enlace le cheval par l’encolure et, pressant sa joue contre celle de l’animal, il éclate en sanglots ! Des gens se portent à son secours, mais l’homme en larmes leur crie de reculer, refusant que quiconque s’approche du cheval…

Cet homme, on l’apprendra par la suite, n’est autre que Friedrich Nietzsche, le célèbre philosophe allemand. Très agité, il semble en proie à un profond délire. Franz Overbeck, un ami du grand penseur, est appelé sur place pour lui venir en aide. À son arrivée, il trouve Nietzsche dans un état pitoyable. Le pauvre homme semble avoir complètement perdu la raison. Il hurle, il chante, proclame à qui veut l’entendre qu’il est le successeur de Napoléon…

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Depuis toujours, la santé de Friedrich Nietzsche lui a joué des tours. Malaises, nausées, migraines n’ont cessé de le torturer. À plusieurs reprises, il s’est retrouvé partiellement paralysé et quasiment aveugle… Mais cette fois, la crise est d’une extrême gravité et affecte l’état mental du philosophe. Sur le quai de la gare, il tente d’haranguer la foule. Son ami est obligé de ruser pour obtenir qu’il monte dans le train sans faire d’histoires.

Nietzsche en 1899

Transporté à Bâle, Nietzsche y est aussitôt interné dans un asile d’aliénés. Le philosophe ne réalise même pas dans quelle terrible situation il se trouve. Il parle sans cesse, expliquant qu’il est la réincarnation du Christ, ou bien de Dionysos, le dieu grec autour duquel il a élaboré sa conception de l’art.

Hélas, après plusieurs mois, les proches du grand homme allemand doivent se rendre à l’évidence : cette crise n’a rien de passager. Au contraire, elle ne fait que s’aggraver. Bientôt, Nietzsche n’est plus capable d’entretenir une conversation un tant soit peu cohérente. Peu à peu, il cesse tout activité et se mure dans le silence. Un silence qui sera définitif.

Prisonnier du pays des ombres, l’auteur d’Ainsi parlait Zarathustra et de Par-delà bien et mal ne refera plus jamais surface. En 1892, quand Overbeck lui rend une dernière visite, il le trouve dans un état végétatif. Il n’est plus qu’un corps sans pensée ni émotion. Soigné par sa mère puis par sa soeur, celui qui a noirci une page majeure de la pensée du XIXe siècle mourra dans cet état, le 25 août 1900.

Nietzsche en 1899

Reste une interrogation : quelle est cette mystérieuse maladie qui a détruit le psychisme de cet immense esprit ? La question ne sera jamais vraiment tranchée. Si certains ont pu évoquer les conséquences d’une infection par la syphilis, d’autres font l’hypothèse d’une dégénérescence du cerveau liée à une hypertension artérielle. On parle aussi d’une tumeur au cerveau ou des effets secondaires des drogues absorbées pour lutter contre des problèmes de santé.

Une chose est certaine : l’effondrement à l’âge de 44 ans d’un des plus grands esprits de son siècle est une perte irréparable. Nietzsche laisse derrière lui un manuscrit intitulé La Volonté de puissance. Cet ouvrage devrait constitué une synthèse de sa pensée. Il est mort sans avoir pu l’achever.

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