Jacques Cartier et les Indiens

Jacques Cartier et les Indiens

Né et décédé à Saint-Malo (1491-1557), cet explorateur français dirigea trois expéditions vers le Canada, toutes financées par François Ier. Au cours de la première, il prit possession du pays à Gaspé (1534), au nom du roi. Durant la seconde, il remonta le Saint-Laurent (1535). Il revint au Canada en 1541 et rentra l’année suivante en France où il décéda, oublié de tous.

Macabre monnaie

Lors de son deuxième voyage, Cartier et ses compagnons remontèrent l’estuaire du Saint-Laurent pour aboutir à Hochelaga (« digue des castors » en langage iroquois), bourgade d’un millier d’habitants environnée d’une nature magnifique, d’où on jouit d’une vue imprenable sur un fleuve de rêve. Sous le coup de l’émotion, l’explorateur la baptisa Mont-Royal(future Montréal). Cartier et ses hommes y furent reçus en grande liesse. L’écrivain de bord a noté les mœurs étonnantes des habitants. Ainsi utilisaient-ils en guise de monnaie d’échange des coquillages blancs appelés esnoquy, empilés en colliers nommés wampums. Pour les recueillir, ils tuaient leurs prisonniers de guerre, pratiquaient au couteau de larges entailles dans leurs fesses et leurs membres, puis les immergeaient à un endroit du fleuve où abondaient ces petits crustacés qui se repaissaient avec gourmandise de cet appât de choix. Après une douzaine d’heures, les cadavres étaient ramenés à la surface et les habitants récoltaient les précieux mollusques incrustés dans les plaies. Les Indiens les utilisaient aussi pour étancher les saignements de nez et fabriquer toutes sortes de chapelets.

Aussi machos que les autres

Les veuves ne pouvaient se remarier et, le restant de leur vie, en signe de deuil, devaient se couvrir le visage d’une couche de graisse et de charbon noir pilé, de l’épaisseur d’un dos de couteau. Cartier se limite à citer une autre habitude, choquante pourtant, concernant les jeunes filles de la tribu: « Dès qu’elles sont en âge d’aller à l’homme, elles sont toutes mises dans un bordel, abandonnées à tout le monde qui en veut, jusqu’à ce qu’elles aient trouvé leur parti.» Cette coutume procédait en fait d’une volonté de mise en commun de tout ce que la tribu possédait. Mais une fois épousées, ces «prostituées» devaient rester fidèles à leur mari, polygame lui.

Pas de quartier

Au retour de sa troisième expédition, en 1542, Cartier rapporta avec lui dix barriques de minerai d’or, sept d’argent et sept quintaux de perles et de pierres précieuses. Mais lorsque les joailliers du roi expertisèrent la précieuse marchandise, ils découvrirent que l’or n’était que du cuivre, les diamants du cristal de roche et des micaschistes à facettes, roches composées de minéraux brillants et feuilletés de quartz. Vexé par ce qui ressemblait à une énorme farce, François Ier ne voulut plus entendre parler de ces terres lointaines qui avaient déjà trop obéré un autre trésor, celui de l’Etat.

Échange de bons procédés

Le 3 octobre 1535, le chef d’Hochelaga – l’agouhanna – implora Cartier par des gestes de le guérir de ses rhumatismes. L’explorateur se limita à lui masser vigoureusement les membres malades. Satisfait du résultat, l’intéressé lui offrit sa coiffe. Puis ce fut un cortège de souffreteux qui défila devant ce thaumaturge qui se limita à les bénir et à leur raconter des passages de l’Evangile.

En décembre de la même année, une épidémie de scorbut sévit chez les Indiens du village avant d’atteindre les équipages français. En janvier, quand la maladie avait déjà tué 25 des siens, Cartier fut étonné de voir un Indien guéri alors qu’il l’avait vu une dizaine de jours plus tôt dans un état désespéré. L’ex-malade lui révéla le remède: piler l’écorce et les feuilles d’un arbre appelé anneda, faire bouillir la mixture dans de l’eau, boire la décoction un jour sur deux et l’appliquer aussi sur les jambes malades. L’arbre est en fait le cèdre blanc dont le liquide obtenu regorge de vitamines C, dont la carence est responsable du scorbut. Les expéditionnaires français qui se risquèrent à utiliser ce remède d’aspect rébarbatif guérirent. De même un malade atteint de «grosse vérole». En décembre1542, les marins de deux bateaux qui venaient de repartir vers la France furent à leur tour victimes de la maladie, dont les symptômes sont ainsi décrits :

«Les uns perdaient leurs forces, les jambes leur devenaient grosses et enflées, les nerfs retirés et noircis comme du charbon, certaines jambes étaient toutes parsemées de gouttes de sang comme de la pourpre ; puis ladite maladie montait aux hanches, cuisses, épaules, bras et cou. La bouche devenait si infecte et pourrie par les gencives que toute la chair en tombait, jusqu’à la racine des dents, lesquelles tombaient presque toutes.»

Cinquante Français moururent, en raison de la médiocrité des rations et de la négligence de Cartier, qui avait négligé de noter et de transmettre la recette curative de l’arbre de vie. En revanche, il eut soin, par curiosité, de faire ouvrir un des cadavres. On constata avec stupéfaction que le cœur était blanc, « flétri, entouré de plus d’un pot d’eau, rousse comme date ». Le poumon était noir et tout le sang paraissait avoir été comme pompé au-dessus du cœur. «Pareillement, il avait la rate près de l’échine un peu entamée, environ deux doigts, comme si elle eut été frottée sur une pierre rude.» Une cuisse fort noire fut incisée, mais sa chair parut plutôt saine.

Poker menteur pour des prunes

Les Indiens étaient férus de jeux de hasard. Au jeu coutumier des noyaux de prunes, on mélangeait une douzaine de noyaux blancs et noirs dans un plat ; puis on les éparpillait sur le sol. Le gagnant était celui qui avait tiré le premier six noyaux blancs. Certains allaient jusqu’à mettre en jeu leurs vêtements, au risque de retourner chez eux en tenue d’Adam.

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