Jacques Chirac : ce qu’il ne faut pas oublier

Né en 1932, Premier ministre de Giscard d’Estaing (1974-1975), président du R.P.R. (1976-1994), maire de Paris (1986-1998), il fut à nouveau Premier ministre du premier gouvernement de cohabitation sous Mitterrand. Élu président en 1995, il dissout l’Assemblée nationale deux ans plus tard. Mal lui en a pris : le verdict des urnes lui imposa une cohabitation avec le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, jusqu’à la fi n de son premier mandat. Au début du second, transformé par le référendum du 15 septembre 2000 en quinquennat, Chirac nomma Jean-Pierre Raffarin Premier ministre du gouvernement de droite. Gaulliste soucieux de ses devoirs constitutionnels, Jacques Chirac s’attache à donner à la France une place de choix dans l’Union européenne et à faire entendre sa voix dans le monde. Partisan d’une Europe des nations, il consent au principe d’une fédération (juillet 2000).

Portrait

Déjà durant la guerre d’Algérie, le soldat Chirac s’était engagé pleinement, manifestant son goût pour l’action. Son ami Jérôme Monod confirme : « Chirac aime la lutte. C’est sa passion. Quand on allait au Japon, il s’intéressait avant tout aux arts martiaux. Et quand il entrait dans mon bureau, du temps où j’étais secrétaire général du RPR, j’avais vraiment le sentiment d’avoir un tigre haletant en face de moi. » Bien que femme dynamique, son épouse Bernadette avoue être souvent dépassée par l’hyperactivité de son mari : « Il est la locomotive, je suis le wagon ; mais parfois ça va si vite que j’ai peur de décrocher. » Cet indomptable, incapable de tenir en place, cherchant à se rendre utile en toute occasion et s’entêtant dans ses idées, avait été rapidement remarqué par Georges Pompidou, dans le cabinet au sein duquel il était entré dans les années 1960. Combien de fois ses collègues ne l’ont-ils pas entendu dire : « Pas de problème, j’en fais mon affaire. » Pompidou, qui l’appréciait pour son efficacité, a dit : « Si je disais à Chirac que cet arbre me fait de l’ombre, il le couperait dans les cinq minutes. » Aussi le cabinet ne tarda pas à le surnommer « le bulldozer ». A L’Élysée, où il a installé ses appartements, ce travailleur acharné est habituellement à son bureau de huit heures trente à vingt heures trente, les week-ends compris. Il y a apporté décontraction, chaleur, simplicité et même familiarité, bousculant le protocole. Quand il en eut assez d’entendre l’huissier annoncer « Monsieur le Premier ministre Alain Juppé », il réagit : « Un, je sais que le Premier ministre vient, puisque je l’attends. Deux, je sais qu’il s’appelle Alain Juppé. » A table, il indique lui-même les places aux convives, et, à leur départ, il leur tend leur manteau. Bel homme, au ton et au maintien empruntés lors de ses interventions officielles, il se montre fort sympathique en société.

Jeux interdits

Le 14 juin 1940, à sept ans, le petit Jacques s’initiait au lancer de couteaux de cuisine dans le jardin de la maison de campagne de ses parents, à Parmain, près de L’Isle-Adam. Mais l’un d’eux, qu’il avait lancé contre un tronc d’arbre, lui revint en pleine figure. Il en a gardé une cicatrice indélébile près de l’œil droit. Deux ans plus tard, il s’amusait innocemment avec son copain Darius à couper dans les kilomètres de fi l des téléphones de campagne allemands pour en faire des fi celles ou pour jouer au lasso, à la grande peur de ses parents.

Mère poule

Avant que Jacques ne rentre de l’école, sa maman plaçait toujours à son intention, sur la table de la cuisine, une sucette dont le papier avait été soigneusement retiré pour lui éviter la fatigue de la déballer. Et quand il étudiait, elle demandait aux visiteurs de revêtir une blouse blanche pour que le petit ne choppe pas de microbes.

Dépucelage

En 1947, à 15 ans, lassé par ses études et par l’autorité de ses parents, il s’engagea, sans l’accord de ceux-ci, comme élève-pilote sur le Capitaine S- Martin, un navire marchand de 5 000 tonnes. Le commandant de bord et Jacques, qui le surnommait Le Bosco, se lièrent très vite d’amitié. Une nuit, en escale à Alger, le premier emmena le second et quelques autres matelots dans un lupanar de la Casbah. Cette nuit-là, Jacques Chirac perdit son pucelage dans un bordel. L’histoire ne dit pas si l’événement présageait sa future politique proarabe…

Hélicoptère intéressé

D’après ses camarades de l’E.N.A., il était un grand gaillard agité et indépendant. Son surnom sera d’ailleurs « l’hélicoptère de Sciences-po », car il mouvait tout le temps les bras comme des pales. C’est durant ses études qu’il fi t la connaissance de Bernadette. Il répondit d’abord de manière fort intéressée à ses marques d’affection suprême : il lui faisait rédiger ses fiches de lecture, travail imposé auquel il répugnait.

Godasses bien à point

En 1952, à 19 ans, Chirac partit en Scandinavie avec un condisciple, Bernard Neute. La voiture de Bernard, avec laquelle ils voyageaient, était une vieille 54 C Salmson de 1932, qui avait donc près de 20 ans. La dynastar qui faisait office de dynamo tombait souvent en panne. Un soir, elle lâcha à 60 kilomètres de la ville la plus proche. Les deux amis arrêtèrent le premier automobiliste de passage et tentèrent de lui expliquer que le moteur fonctionnait, mais pas les phares. « Pas de problème, répondit celui-ci, j’habite à 80 kilomètres, j’allume mes gros phares et vous me suivez, je vous invite à loger à la maison. » Il fallait grimper une route de montagne et le Suédois roulait vite. Mais voilà que Chirac, comme il le raconte lui-même, fut pris d’un urgent besoin naturel. « Impossible de s’arrêter, dit-il. J’essaye de me contorsionner pour pisser par la fenêtre. Sans succès. En désespoir de cause, je finis par enlever ma godasse et par pisser dedans avant de la vider par la fenêtre. J’ai dû recommencer le manège plusieurs fois. »

Bourreau des cœurs sexy

Pendant ses études supérieures, malgré son attachement à Bernadette, le jeune homme tenait à rester libre. Les témoins, dont Bernadette elle-même, attestent qu’il était un bourreau des cœurs. Son ami Michel Rocard avait d’ailleurs été frappé par la nuée de filles qui gravitaient autour de lui. L’histoire suivante témoigne de son succès. En 1953, il partit en voyage aux États-Unis avec son ami Philippe Dondoux. Tous les deux donnèrent des cours de français pour se faire un peu d’argent, mais les élèves féminines – témoigne Ledoux – étaient plus attirées par les deux professeurs que par le cours. Pourtant, il n’avait rien d’un romantique. Il était même macho, au point de mesurer la masculinité à la consommation de tabac ou d’alcool. Ces girls furent sans doute conquises par sa virilité, son physique, son intelligence, sa gaieté et son charme, mais de leurs sentiments, lui et son copain n’en avaient rien à faire380.

Faire contre mauvaise mine bon cœur

En 1952, Chirac fi t plusieurs voyages à travers la France avec des condisciples de sa promotion. L’un d’eux se déroula dans les mines de charbon de Lorraine avec Béatrice de Andia, à une époque où il était interdit aux femmes d’y descendre parce que, prétendait-on superstitieusement, leur simple présence risquait de provoquer un éboulement… Mais Jacques réussit à convaincre son amie de se déguiser en garçon et de l’accompagner dans le puits, à 1 100 mètres de profondeur. « En sortant de ce calvaire, raconte-t-elle, nous avons bien évidemment des marques sous les yeux. Malgré mon débarbouillage énergique, les empreintes de charbon se devinaient et me désignaient comme coupable devant les mineurs. C’est alors qu’ils se jetèrent sur moi, me reprochant d’être descendue et de provoquer par la même un éventuel accident. Avec calme et bon cœur, Jacques s’interposa alors pour calmer l’ensemble de la troupe qui déjà menaçait de faire grève. »

Chiots communistes

En 1972, Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture et du Développement rural, pria son ami André Tourneix de bien vouloir prendre en pension sa chienne labrador Jasmine, le temps d’un voyage à l’étranger avec Bernadette. Mais l’animal échappa plusieurs fois à la surveillance de son hôte pour vagabonder et quand les Chirac rentrèrent, elle accoucha de deux chiots. Étonnés, Jacques et sa femme voulurent connaître l’heureux père et son maître. Ils interrogèrent Tourneix. Ce dernier, très embarrassé, dut bien leur avouer que le propriétaire du chien était un communiste notoire. « Un coco, allons bon ! Allons-y quand même », s’exclama Chirac. Le propriétaire du chien et sa femme furent très agréablement surpris par la visite du couple ministériel. Quand elle fut sortie, Bernadette gronda Jasmine : « Que tu fasses une bêtise, soit ! Mais la prochaine fois, tâche de ne pas choisir un communiste ! »

Quiproquo entre Masos

En 1973, Jacques Chirac, amateur de sports en tout genre, accepta volontiers l’invitation de Pierre Mazeaud – secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports – d’assister à un match de rugby du Tournoi des Cinq Nations au Parc des Princes. A l’issue d’une médiocre première mi-temps du XV de France, les 50 000 spectateurs scandaient : « Maso Maso Maso. » Jacques Chirac se tourna vers Pierre Mazeaud pour lui dire: « Pierre, je ne te savais pas si populaire ! » Et Albert Ferrasse, président de la Fédération Française de rugby, de lui expliquer : « Il ne s’agit pas de notre secrétaire d’État, mais de Jo Maso de Narbonne – trois-quarts centre de l’équipe de France de rugby entre 1966 et 1974 – que les spectateurs réclament. » Par la suite, Jacques Chirac devint plus attentif aux problèmes sportifs.

Artiste inaccompli

Quand le Premier ministre Jacques Chirac vint présenter sa démission à Valéry Giscard d’Estaing en 1976 (les deux hommes ne s’entendaient pas), il déclara, sans rire : « Monsieur le Président, je me rends compte que je n’ai pas toujours bien réussi à vous servir dans l’exercice de mes fonctions de Premier ministre […] Je puis vous assurer que je n’ai pas du tout l’intention de gêner votre action politique, et d’ailleurs vous n’entendrez plus jamais parler de moi en politique. […] Je ne sais pas encore ce que je vais faire. J’hésite entre plusieurs possibilités. L’une serait d’ouvrir une galerie de peinture. Je me suis toujours intéressé à la peinture. » On ne mesurera jamais assez, écrit P. Girard, « ce qu’a fait perdre à l’art contemporain l’abandon de ce dessein grandiose ».

Tuer Chirac pour la postérité

Le matin du 14 juillet 2002, Maxime Brunerie, étudiant attardé, avait averti sur un site web néo-nazi : « Regardez la télévision ; ce soir, la star ce sera moi. » Sur les Champs-Élysées, l’individu franchit sans problème le cordon de sécurité prévu pour le défi lé avec son étui à guitare. Il en sortit une 22 long rifle – achetée quelques jours auparavant et testée par lui-même en Bourgogne – quand le président passa à sa hauteur, dans sa voiture de commandement. Il ajusta, tira, mais à ce moment, un spectateur eut l’heureux réflexe de se jeter sur lui pour détourner la carabine. Les services de sécurité purent immédiatement maîtriser le forcené. Chirac ne se rendit compte de rien et la voiture présidentielle continua son petit bonhomme de chemin. Le président se dit simplement étonné quand il apprit la nouvelle… Le jeune homme avait prévu de se suicider après son crime « pour entrer dans l’histoire », répétant aux jurés de la Cour d’assises de Paris, deux ans plus tard, que sa vie « n’était pas intéressante ». Cet illuminé, déprimé, avait subi un lourd traitement contre un cancer des ganglions, actuellement en rémission. On retrouva au domicile de ce néo-nazi, inscrit au MNR de Bruno Mégret en 2001, un exemplaire de Mein Kampf. Il était trésorier d’une association dont rien que le nom est tout un programme : « Baise, bière, baston. » Au procès, les experts psychiatriques estimèrent que sa capacité de jugement était « altérée », mais pas « abolie ». Le 17 décembre 2004, il fut condamné à dix ans de réclusion ferme. L’année de son forfait se posait plus que jamais la question de la sécurité des responsables politiques. En mars, un forcené avait tiré sur le conseil municipal de Nanterre, tuant huit de ses membres, et, en octobre, un autre poignardait à l’Hôtel de Ville de Paris le maire Bertrand Delanoë, en pleine fête de la Nuit blanche…

Malaise au protocole

Le 18 novembre 2004, le président, en visite officielle à Londres, participa à plusieurs dîners de gala offerts par la reine au château de Windsor. Il se fit remarquer par des retards répétés, ce qui l’obligea chaque fois à se confondre en excuses. Pourtant, la berline et la pluie étaient anglaises… Mais il eût été malvenu de la part de Jacques Chirac d’invoquer les véritables raisons… La presse anglaise n’a pas manqué l’occasion de s’offusquer ! En fait, la responsabilité incombe aux services de sécurité britanniques. La police avait chaque fois sous-estimé le temps du trajet et n’avait pas pris en compte les embouteillages causés par des manifestations : le Parlement venait d’oser interdire la chasse à courre ! Le vacarme a même perturbé la réception du soir.

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