Trois anciens vainqueurs du Tour de France morts au combat

Lucien Petit-Breton

 

Pour cacher sa pratique sportive à son père qui la désapprouve, Lucien Mazan troque son patronyme contre celui de « Breton », en référence à sa province natale, la Bretagne. Mais un autre coureur cycliste s’appelant « Breton », il opte finalement pour le patronyme « Petit-Breton » afin d’éviter toute confusion.

 

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Né le 18 octobre 1882 à Plessé (Loire-Inférieure, aujourd’hui Loire-Atlantique), Lucien Petit-Breton se passionne dès son plus jeune âge pour le vélo, dévorant comme un mort de faim tous les magazines de sport. C’est à 20 ans, en 1902, qu’il débute sa carrière cycliste chez les professionnels. 

 

 

Vainqueur de Paris-Tours en 1906 et de la première édition de Milan-San Remo en 1907, il a aussi établi le record du monde de l’heure en 1905, avec 41,11 kilomètres parcourus au vélodrome Buffalo de Neuilly-sur-Seine. Il est le premier Français double vainqueur du Tour de France, en 1907 et 1908 (il a gagné en tout sept étapes).

 

Il meurt pendant la Première Guerre mondiale dans un accident d’automobile survenu sur le front (le 20 décembre 1917), à Troyes (Aube). Il avait 35 ans.

 

François Faber

 

François Faber est né le 26 janvier 1887 à Aulnay-sur-Iton dans l’Eure. Fils de Jean-François, originaire de Wiltz dans le grand-duché du Luxembourg et de Marie-Paule, née en Lorraine. Doté d’une force physique hors norme – il pèse 91 kilos-, ce grand champion, bien qu’étant né en France, choisit de garder la nationalité de ses parents. Il montrera, malgré tout, un attachement exemplaire à la France, sa terre d’adoption.

 

En 1907, lors de l’étape Metz-Belfort, François Faber, nouveau venu, remporte la troisième place et signe sa première apparition dans le Tour. En 1908, le Tour s’étale sur 4 488 kilomètres. Derrière Petit-Breton, Faber termine second du tour en remportant cinq victoires d’étape et en se classant second dans quatre autres. Sur cent quatorze partants, trente-six franchissent la ligne d’arrivée. Les journaux de l’époque retiendront de l’affaire qu’un seul des coureurs aura grimpé le ballon d’Alsace sans mettre pied-à-terre. Ce qui est à l’heure actuelle une promenade familiale est, à l’époque, un véritable exploit. Cette année-là, il gagne le tour de Lombardie. En 1909, il est vainqueur du Tour de France sous la pluie et dans la boue.

 

 

Il est le premier étranger à gagner le Tour de France. À l’époque, le Tour se court à une vitesse moyenne de 28 km/h sur 4 500 kilomètres, divisés en quatorze étapes. En 1909, sur cent cinquante participants engagés, cinquante-cinq passent la ligne d’arrivée. Les distances restent inchangées. Faber remporte l’épreuve en gagnant six étapes et en se classant trois fois second et deux fois troisième.

 

La presse titre alors « Faber est trop fort. Il gagne six étapes, dont cinq successivement ! » Il est également le premier à avoir réalisé cet exploit. Il faut rappeler que ce Tour fut l’un des plus froids de l’histoire si ce n’est le plus froid. 1909 sera d’ailleurs sa grande année puisqu’il gagnera cette année-là trois autres grandes classiques en France et en Belgique. En 1910, Faber est second derrière Octave Lapize après avoir remporté trois étapes, une seconde place et deux troisièmes places. Il aura crevé deux fois sur la même étape. Il gagne le Paris-Tours.

 

En 1911, Faber s’adjuge deux étapes et une troisième place, mais gagne le Bordeaux-Paris. En 1912, pas de victoire d’étape, mais une seconde place entre Belfort et Chamonix. En 1913, il est cinquième au classement général, mais il gagne le Paris –Roubaix. Le 30 octobre de cette année-là, il épouse Eugénie Terrier, qui lui donnera un enfant quatre jours avant sa mort. En 1914, pour son dernier Tour de France, il remporte deux étapes. La guerre est déclarée cinq jours plus tard.

 

 

Mais il se montre tout aussi fidèle et ardent Français lorsqu’il signe un contrat de volontaire de guerre au bureau de recrutement de la Seine. Il est affecté au 1er régiment étranger au dépôt de Bayonne, le 22 août 1914. Caporal du 2e RM du 1er RE, il est tué à l’ennemi le 9 mai 1915 au cours de la bataille des « ouvrages blancs » à Carency près de Berthonval. Cité à l’ordre de la division avec Croix de Guerre 1914 –1918. Il est médaillé militaire à titre posthume au Journal officiel du 24 mai 1922. Le matin de sa mort, François Faber reçoit une lettre l’informant de la naissance d’un fils. Une plaque à sa mémoire déposée à la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette rappelle son sacrifice.

 

Octave Lapize

 

Issu de la région parisienne, le jeune Octave fait rapidement des débuts fracassants dans le cyclisme. Son jeune manager Paul Ruinard lui prédit un grand avenir : « Il sera le meilleur coureur de sa génération, car il possède tous les dons du parfait cycliste. » rien que ça. Passé professionnel en 1909 dans la très modeste formation Biguet, le Francilien crée la sensation en remportant Paris-Roubaix au nez et à la barbe de la puissante formation Alcyon. Pourtant, la course ne s’était pas déroulée comme le souhaitait le Frisé. À mi-course, il était victime d’une crevaison et il avait dû revenir au terme de vingt-deux kilomètres de poursuite acharnée. Isolé dans le final face à trois coureurs d’Alcyon, Lapize parvenait tout de même à faire la différence au sprint dans le Vélodrome de Roubaix. Il remportait en 1909 la première de ses victoires sur Paris-Roubaix. Recruté par Alcyon l’année suivante, il s’imposait également au sprint face au Belge Cyril Vanhouwaert surnommé Cyril « Ventre-ouvert ». Au départ de la reine des classiques en 1911, on disait de lui qu’il n’était pas capable de gagner une épreuve en solitaire et qu’il ne devait ses succès qu’à la chance et à sa pointe de vitesse. C’est le propre du champion de se révolter, de se sublimer face à la critique, à l’adversité et à l’hostilité. Lapize fait partie de cette catégorie de champions. Il gagne son dernier Paris-Roubaix en solitaire avec plus de quatre minutes d’avance sur son second. Fort de ses trois succès majeurs, Tatave allait confirmer sa réputation de coureur le plus prestigieux de l’avant-guerre. Deux nouveaux hat-trick viennent couronner sa carrière. De 1911 à 1913, il s’imposait sans partage sur le championnat de France et Paris-Bruxelles, considéré à cette  époque comme l’une des plus prestigieuses épreuves d’un jour.

 

Octave Lapize était un coureur trapu, robuste et résistant. Il arrivait à déplacer victorieusement son petit mètre soixante-cinq dans les terribles pavés du Nord. Il était l’opposé de François Faber, le géant de Colombes qui devait lui rendre près de trente centimètres en terme de taille. Ce dernier utilisait également des braquets démentiels pour l’époque, un fameux 26×9, plus de six mètres. Les deux hommes, les deux équipiers devaient pourtant devenir adversaires sur le Tour de France 1910, cette opposition de style alléchante, allait donner lieu à un Tour de France passionnant. Lapize ne conserve pas que de bons souvenirs de la Grande Boucle. Pour sa première participation, il avait dû abandonner suite à une chute. Le Tour 1910 escaladait cette année les premiers grands cols pyrénéens, avec l’enchaînement suivant : Peyresourde, Aspin, Tourmalet, Aubisque et Oquich… Cela n’avait pas le don de réconcilier le Francilien avec le Tour. Ainsi dans le Tourmalet, il ne cessait de répéter à destination des organisateurs : « Vous êtes des assassins. Oui, des assassins ! » Pourtant à l’arrivée à Bayonne, c’est bien lui qui franchissait la ligne d’arrivée en vainqueur.

 

La confrontation entre Faber et Lapize avait divisé sa propre formation en deux. Personne ne se faisait de cadeaux dans la puissante Alcyon. Finalement, Tatave prendra le dessus sur son adversaire, profitant d’une chute de son rival entre Bordeaux et Nantes, qui avait profondément diminué le Luxembourgeois. Plus capable d’enrouler son braquet surhumain avec autant d’aisance, il s’inclinait en toute logique face à la désinvolture de Lapize. Ce dernier s’était permis la veille de la dernière étape d’effectuer son baptême du feu dans l’air ! Le Tour de France 1910 marquait d’ailleurs un tournant important pour « la petite reine ». Outre l’escalade des premiers cols pyrénéens introduits par Alphonse Steines, proche de Lapize, cette édition avait vu l’apparition de la voiture-balai, du premier grand duel du Tour de France, conclu à une vitesse record de 29,214 km/h. Cette performance était seulement battue en 1933 par le virtuose George Speicher.

 

 

Au début de vingtième siècle, les épreuves sur piste présentaient un prestige tout aussi important, voire plus, que les courses sur route, si l’on en juge par leur(s) succès populaire(s) ou les gains financiers. Les routiers étaient considérés comme des « ratés » par rapport aux pistards. Pour exemple, le vainqueur du Tournoi de vitesse dit GP de l’Exposition gagnait 15 000 francs, alors que l’ensemble des gains du premier Tour de France s’élevait à 20 000 francs. Cette facilité allait provoquer la déchéance du grand champion français qui évaporera son talent routier sur ces tours d’anneaux. Plus lucrative, moins contraignante, la piste était une aubaine pour Octave Lapize, le premier businessman du monde du cyclisme. En 1910, après une saison dans l’équipe Alcyon, Tatave signait un contrat avec l’équipe La Française qui prévoyait des cycles à son nom, un grand magasin à gérer. Plus tard, des calepieds Lapize allaient faire leur apparition en masse dans le monde du cycle.

 

Le Frisé prenait progressivement goût à ces tours de piste(s) bien que son éclat eut été considérablement moins brillant que sur la route, Lapize était un athlète courtisé par les vélodromes compte tenu de son prestige. Vainqueur du Tour 1910, il n’allait plus jamais retrouver cet état de forme, lessivé physiquement et mentalement par ses différents contrats sur piste, en France, en Belgique voire en Amérique. Sur le simple vélodrome de Buffalo, Tatave gagnait 2 500 francs annuellement alors que la prime pour le vainqueur du Tour n’était que de 5 000 francs pour un effort considérablement plus usant.

 

 

Octave Lapize allait cultiver une aversion pour les causes perdues. Il n’ira pas défendre de manière convenable ses différents triplés, comme l’aurait fait le grand champion qu’il était à ses premières années. Battu au sprint à Roubaix en 1912, il abandonnait précipitamment en 1914 sur Paris-Bruxelles dans la citadelle de Namur et sur l’ « enfer du Nord » à quarante-cinq kilomètres de l’arrivée, pour le simple prétexte d’avoir été relégué trop loin des premiers. Sur le Tour de France, il enchaînait les désillusions. Exténué par un début de saison surchargé, il abandonnait en 1911 après ses succès sur Paris-Roubaix, Paris-Bruxelles, le championnat de France et sur la piste. En 1912, il quittait le Tour de France sur un coup de tête. En pleine ascension du Portet-d’Aspect, il faisait demi-tour de manière brutale. Il estimait être une victime d’une coalition menée par le Belge Odile Defraye, entouré par toute la colonie belge, par son Alcyon et toutes ses équipes satellites. Seuls contre tous, Lapize et son équipe se retiraient en masse. Il jetait l’éponge de manière tout aussi dramatique en 1913 dans une petite auberge en Bretagne, de façon anonyme. Il se retirait encore une fois en 1914, cette fois pour des raisons plus recevables, suite au décès de sa mère.

 

Champion sur route, dénaturé par la piste, Octave Lapize allait se réhabiliter lors du grand conflit mondial. Aviateur respecté, il allait s’éteindre héroïquement lors d’un combat aérien contre deux avions allemands. Touché de cinq balles, il décédait le 14 juillet 1917.

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