1962 : Au cœur de la crise des missiles de Cuba

1962, la guerre froide entre les deux grands, l’URSS et les États-Unis fait rage depuis plus de quinze ans. Pourtant cette année-là, le conflit atteint son paroxysme, et plonge le monde entier au bord d’une guerre nucléaire sans précédent. La célèbre crise des missiles de Cuba marquera à jamais l’Histoire. Tout le monde connaît cet épisode, on l’a raconté, étudié, écouté, vu, lu... Pourtant il y a certains points, notamment concernant le dénouement de la crise, qui restent à éclaircir...

Qui aurait pensé qu’un agent du KGB et un journaliste américain avaient été au cœur des négociations de cette crise internationale ? Pourtant c’est bien ce qui s’est passé. Alexandre Feklissov, un agent des services secrets soviétiques, qui a entre autres été l’officier traitant des célèbres espions Julius Rosenberg et Klaus Fuchs, raconte dans son autobiographie cet épisode d’une nouvelle façon. Intitulée Confession d’un agent soviétique, rédigée en collaboration avec Sergueï Kostine, il donne un nouvel éclairage sur les faits. Il nous relate certes, le déroulement de la crise, qui est largement connu, mais plus encore il nous raconte quel rôle il a tenu dans le dénouement.

Le 16 octobre 1962, un avion-espion américain, en survolant l’île de Cuba, découvre l’installation de rampes de missiles nucléaires, mettant le feu aux poudres. Déjà, les relations entrent les deux grands étaient tendus surtout après l’échec de la baie des cochons l’année précédente.À ce moment précis, Feklissov est en poste aux États-Unis, à la tête de la résidence soviétique de Washington. Pourtant, il n’apprend l’existence de ces rampes que le 21 octobre... L’agitation explique-t-il dans son ouvrage ne touchait que les hautes sphères du pouvoir. Désireux d’en apprendre plus, et surtout de comprendre ce qui se passe réellement, Feklissov cherche un contact américain qui pourrait lui en dire davantage. C’est à ce moment que John Scali, un journaliste politique international sur ABC qui connaît personnellement le président et le secrétaire d’État lui téléphone pour l’inviter à dîner. Ils se connaissent déjà, et s’aident mutuellement, chacun profitant de l’autre. Ils se rencontrent dans un restaurant, dînent tout en exposant leur point de vue sur la situation : Feklissov accuse les États-Unis d’encercler Cuba et de chercher à renverser Castro. À l’inverse Scali appuie sur l’agressivité de Khrouchtchev qui installe ses missiles à Cuba.

Kennedy a pris toutes les précautions, et a ordonné une quarantaine sur les livraisons d’équipements militaires à destination de Cuba. Le président veut trouver une solution pacifiste alors que beaucoup de généraux sont favorables à un débarquement sur l’île. Le 23 octobre, on annonce à Kennedy que les missiles sont prêts à être déployés. À l’ambassade soviétique et dans les lieux de pouvoir américain, tout le monde est sur le pied de guerre. Le 26 octobre, Feklissov appelle Scali pour aller déjeuner. Ce dernier lui explique que Khrouchtchev a tort de prendre Kennedy pour un débutant et qu’il ne cédera pas sur le retrait des missiles, et n’hésitera pas à envahir Cuba s’il le faut. C’est alors que Feklissov explique à Scali qu’un débarquement à Cuba laisserait Khrouchtchev libre de riposter dans une autre partie sensible du monde en l’occurrence Berlin Ouest.

Initialement il n’est pas habilité pour confesser cela, mais c’est son interprétation des événements. Chacun fait un rapport de cette rencontre et le transmet à ses supérieurs. Alors que Feklissov rédige ce rapport, on l’interrompt en lui disant que Scali est en ligne, qu’il veut le rencontrer immédiatement. Il a un message important pour lui, avec les conditions du règlement de la crise données par la plus haute autorité en l’occurrence le président américain. Trois conditions figurent :

  • L’URSS doit démonter et remporter ses missiles de Cuba sous le contrôle de l’ONU.

  • Les États-Unis lèvent leur quarantaine.

  • Les États-Unis s’engagent à ne pas envahir Cuba.

Feklissov transmet le message à l’ambassadeur pour qu’il le transmette à son tour à Moscou. Dobrynine l’ambassadeur reçoit Robert Kennedy et pendant l’entretien en profite pour négocier les missiles américains présents en Turquie. Kennedy accepte de les retirer. L’ambassadeur rédige alors un message à Khrouchtchev et confie à Feklissov que ce message alarmant avait convaincu le leader soviétique. Le secrétaire d’ État américain Dean Rusk propose alors de conclure un accord secret avec l’URSS pour le retrait des missiles. Khrouchtchev reste muet. À 20 heures ce même jour, Kennedy répond via la presse que si les Soviétiques retirent leurs missiles, et affirment qu’ils n’en livreront pas d’autres à Cuba, il s’engage à mettre un terme à la quarantaine et à ne pas envahir l’île. Le soir même, Robert Kennedy utilise le réseau de communication Bolchakov et affirme que si Moscou ne répond pas dans les 24 heures, les militaires américains seront envoyés à Cuba. Avec le décalage horaire, les Soviétiques utilisent la radio pour transmettre leur message avant 17 heures en affirmant : « Le gouvernement soviétique a donné l’ordre de démanteler les armements que vous décrivez comme offensifs ainsi que leurs rampes ». Le message est reçu à 9 heures le lendemain matin et Kennedy rédige une réponse immédiate qui est transférée par la radio Voice of America. À 23 heures la crise des missiles de Cuba prend fin.

Feklissov relate les événements, mais s’interroge sur cette crise : pourquoi les Américains ont affirmé que les décisions de négociations venaient des Soviétiques ? « Je conçois qu’on ne me croit pas sur parole. En revanche, il est plus difficile de rejeter les arguments logiques qui démontrent clairement que Kennedy a bien tendu le premier la main à Khrouchtchev. » Il indique que si Khrouchtchev avait imposé les conditions de Berlin Ouest, il les aurait transmises directement à Kennedy ou à l’ambassadeur. Il ne reste donc qu’une solution selon lui : Kennedy a réagi quand Scali lui a rapporté le compte rendu de leur premier entretien et ils ont interprété l’hypothèse de Feklissov comme un avertissement.

Il explique que même après, les États-Unis n’ont pas avoué avoir lancé les négociations. Du 26 au 30 janvier 1989, eut lieu une table ronde sur la crise de Cuba à Moscou. Feklissov y participa ainsi que Scali, il affirma que c’était Feklissov qui avait lancé les négociations, ce dernier dut rectifier. Une plaque commémorative a été installée au restaurant où ils se sont rencontrés, sur laquelle est écrit : «  À un moment tendu de la crise cubaine (octobre 1962), un mystérieux Mister X Russes a remis ici une proposition sur le retrait des missiles de Cuba à John Scali, journaliste de ABC news. Ce rendez-vous a permis d’écarter la menace d’une guerre nucléaire. » Il demanda à Scali pourquoi cette plaque ne disait pas la vérité et il répondit simplement qu’il ne savait pas. Feklissov apprit après que Scali avait joué un rôle important dans l’inauguration de la plaque. Pourtant il n’avoua rien. Feklissov affirme qu’il est le seul à connaître la vérité « Et aucun engagement, aucune interdiction ne m’empêche de la dire à cette heure où les luttes d’antan ne revêtent plus qu’un intérêt historique. Je crois que, presque quarante ans plus tard, il nous appartient enfin, au-delà des considérations dictées par l’amour propre national, d’ores et déjà ridicules, de rendre hommage à la démarche courageuse et perspicace de John Kennedy lors des évènements dramatiques d’octobre 1962. »

Le déroulement des événements présentés par Feklissov a plusieurs fois été repris dans la presse notamment par Richard Norton-Taylor dans The Guardian qui affirme que le 26 octobre 1962, Feklissov a téléphoné à Scali pour qu’ils se rencontrent en disant qu’il avait un message de Moscou et proposait le retrait des missiles contre la déclaration des Américains de ne pas envahir Cuba. De même, Lawrence Van Gelder dans son article au New York Times, qui s’intéresse à Scali a déclaré que c’était Feklissov qui avait lancé les négociations.

Devant tant de débats, il est difficile de faire la part des choses. Est-ce qu’il faut considérer la parole de l’un plus que de l’autre, rien n’est moins sur ? Toujours est-il que Feklissov nous livre ici, une autre interprétation de la célèbre crise des missiles, qui participe à l’histoire de cette crise qui a secoué le monde, et qui montre l’implication des services secrets américains comme soviétiques dans l’histoire de la guerre froide.

Auteur :  Rosalie Cave

Pour en savoir plus

Retour en haut