La mortuaire cérémonie du hara-kiri (ou seppuku) : quand l’honneur justifie la mort

Il existe, au-delà des paysages époustouflants, du raffinement esthétique et de la sérénité presque mystique, une image du Japon reflétant les aspects les plus sordides et macabres de l’âme humaine. Dans cet univers où la mort se trouve portée au pinacle de l’honneur, le seppuku, ou harakiri selon sa lecture européenne, revêtait une importance capitale au sein d’une culture strictement régie par les sacrifices individuels au profit de la collectivité. Ainsi, il n’était pas rare qu’un samurai déshonoré par la défaite de son seigneur se livre à ce suicide cérémoniel en la présence de ses pairs qui, s’ils ne l’accompagnaient pas dans l’au-delà, se devaient du moins d’observer son dernier acte héroïque.

Lors de cet évènement, la procédure en vigueur devait être respectée à la lettre sans quoi il était impossible de s’expier complètement d’un tort ou d’une honte. Situant le siège de la raison et de la conscience dans le ventre, les guerriers qui s’apprêtaient à réaliser ce geste symbolique y voyaient une manière de libérer leur esprit de cette enveloppe charnelle souillée de quelque affront. Pour ce faire, il était de coutume de s’installer solennellement devant son public, de s’emparer d’un couteau placé devant soi, appelé Wakizashi, et de s’éventrer de part et d’autre du nombril avant d’être finalement décapité par un disciple ou compagnon d’armes. Une variante plus douloureuse et, de ce fait, plus honorable consistait à poursuivre l’éventration en remontant la lame jusqu’au cœur.

Le général Akashi Gidayu s'apprêtant à faire seppuku, Yoshitoshi Tsukioka, vers 1890.

Peu d’Occidentaux peuvent se targuer d’avoir assisté à un rituel si sacré et intime. Toutefois, dans son ouvrage datant de 1871 intitulé Tales of Old Japan (Contes du Japon d’antan), Algernon Freeman-Mitford, ambassadeur britannique au Japon, nous livre une description effroyable de cette cérémonie.

"Je puis, en corolaire à la description fournie concernant les procédures cérémonielles propres au harakiri, donner un compte rendu de l’une de ces exécutions à laquelle je fus officiellement convié. L’accusé était un officier du nom de Taki Zenzaburo qui se trouvait sous le commandement du Prince de Bizen lorsqu’il avait ordonné d’ouvrir le feu sur une installation étrangère au port de Hyôgo durant le mois de février 1868 ; incident auquel je me réfère dans le préambule de mon ouvrage intitulé Êta Maiden et Hatamoto. Jusqu’alors, nul témoin étranger n’avait assisté à une exécution de ce type qui, dans la plupart des cas, était reléguée au rang d’histoire de voyageur."

Cette cérémonie avait été convoquée par le Mikado (l’Empereur) lui-même et se déroula à 10h30, dans la nuit, au temple de Seifukuji, le quartier général des troupes de Satsuma à Hyôgo. À cette occasion, chaque consulat étranger envoya un témoin pour le représenter. Nous étions donc en tout sept étrangers. Au terme d’un autre geste de profonde courtoisie, Taki Zenzaburo, sur un ton qui trahissait autant d’émotions et d’appréhensions que celles attendues d’un homme se livrant à une douloureuse confession sans, toutefois, en afficher le moindre signe sur son visage ou dans sa démarche, s’adressa de la manière suivante :

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Moi et moi seul ai donné l’ordre, sans en recevoir l’autorisation, d’ouvrir le feu sur les étrangers à Kobe alors même qu’ils tentaient de s’enfuir. Pour ce crime, je choisis de m’éventrer et implore les témoins présents de me faire l’honneur d’assister à ce geste.

Après s’être incliné de plus belle, l’accusé laissa tomber la partie supérieure de son vêtement jusqu’à la ceinture et demeura torse nu. Précautionneusement, comme le veut la coutume, il glissa ses manches sous ses genoux afin d’empêcher son corps de tomber en arrière ; car un membre de la noblesse japonaise se devait de choir vers l’avant. Avec assurance et d’une main ferme, il saisit le couteau qui se trouvait devant lui et l’observa pensivement, presque affectueusement. Pendant un instant, il parut rassembler ses souvenirs pour la dernière fois puis s’enfonça profondément la lame en dessous de la taille, du côté gauche. Il déplaça ensuite lentement la lame vers le côté droit et, la faisant tourner dans la plaie, procéda à une courte incision vers le haut. Durant la totalité de cette opération atrocement douloureuse, nul muscle de son visage ne frémit. En extirpant le couteau, il se pencha en avant et présenta son cou ; il laissa fugacement transparaître une expression de douleur, mais ne laissa échapper aucun son de sa bouche. À cet instant, le kaishaku qui, jusqu’alors, était resté accroupi à ses côtés, observant avec attention chacun de ses mouvements, se redressa subitement et positionna son sabre en l’air l’espace d’une seconde. Il y eut un scintillement ainsi qu’un bruit sourd et lourd, suivi de celui d’une brusque chute : en un seul coup, sa tête avait été séparée de son corps.

Un silence assourdissant emplit alors le temple et ne se brisa que lorsque le bruit ignoble du sang suintant de ce corps inerte qui quelques instants auparavant avait appartenu à un homme valeureux et chevaleresque se fit entendre. Ce fut un horrible spectacle.

Seppuku d'un soldat japonais aux Indes orientales néerlandaises lors de la capitulation d'août 1945.

Le Kaishaku s’inclina cérémonieusement, nettoya son sabre à l’aide d’une feuille de papier de riz qu’il avait préparée à cet effet et se retira de l’estrade. Le couteau maculé fut soigneusement emporté et avec lui la preuve sanglante de cette exécution. Les deux représentants du Mikado se levèrent alors et rejoignirent les témoins étrangers qui leur faisaient face pour leur demander de constater que la peine de mort infligée à Taki Zenzaburo avait été conformément exécutée. La cérémonie touchant à sa fin, nous sortîmes du temple. Ce rituel dont le lieu et l’heure du déroulement avaient participé à sa solennité fut accompli avec une attitude extrêmement digne et pointilleuse, ce qui constitue la caractéristique essentielle de l’étiquette des nobles japonais de haut rang. Cet aspect n’était nullement anodin puisqu’il garantissait que le corps qui gisait sur l’estrade appartenait effectivement à l’officier qui avait commis le crime et non à un quelconque remplaçant. Malgré la profonde impression qu’avait suscité cet effroyable spectacle, il était impossible ne pas être en même temps submergé d’admiration après avoir observé l’assurance et la bravoure avec laquelle le supplicié s’était livré à ce sacrifice et après avoir constaté le sang-froid par lequel le Kaishaku avait rempli son dernier devoir envers son maître. »

Auteur : Maxime Wève

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