Charitables, les rois donnaient un coup de main aux scrofuleux

Le 4 novembre 1380, conformément à la tradition, Charles VI fut sacré roi de France à la cathédrale de Reims, devenant ainsi le quatrième roi de la branche dite « de Valois » de la dynastie capétienne. Lors de la cérémonie, l'onction de l'huile sainte – que l'on prétendait apportée du ciel – par l'archevêque investissait le nouveau souverain d'une puissance surnaturelle. Ensuite, il se rendait au prieuré de Coberny, consacré à saint Marcoul, guérisseur des écrouelles, ou scrofule, maladie caractérisée par des lésions tuberculeuses, surtout nombreuses au cou. On prétendait que, par la seule imposition des mains, le roi avait ce jour-là le pouvoir de guérir les malades qui en étaient atteints. Au début du règne de Charles VI, Étienne de Conty, moine de Corbie, précise le rite. En bref, le roi trempe une main dans l'eau, la pose sur les tumeurs dégoûtantes en prononçant les paroles rituelles « Le roi touche, Dieu te guérit », puis se lavait les mains.

Le peuple en vint à attribuer aussi des vertus miraculeuses à l'eau des cuvettes royales. Les malades en buvaient pendant neuf jours, à jeun et dévotement, puis guérissaient. Mais à l’aube du XVIIe siècle, l'opinion se répand que les écrouelles étaient contagieuses. En 1643, une Maison de Saint-Marcoul est ouverte à Reims pour accueillir les malades atteints de la contagion, en particulier des enfants. En 1683, Louis XIV lui accorde des lettres patentes qui constituent la première mesure de lutte antituberculeuse.

Les trois derniers rois d’Ancien Régime ont encore sacrifié à la coutume, mais dans le parc de Saint-Rémi, derrière la basilique, plus à Coberny. Louis XIV toucha 2 500 à 2 600 malades, Louis XV, 2 000, Louis XVI, 2 400. Le marquis d'Argenson témoigne dans ses Mémoires de ce miracle :

« Au sacre de Louis XV, à Reims, un bourgeois d'Avesnes qui avait des écrouelles horribles alla se faire toucher par le roi. Il guérit absolument. J'entendis dire cela. Je fis faire une procédure et une information de son état précédent et subséquent, le tout bien légalisé. Cela fait, j'envoyai des preuves de ce miracle à M. de La Vrillières, secrétaire d'État de la province. Je crus obtenir de grandes louanges de mon zèle pour les prérogatives royales. Je reçus une lettre sèche où l'on me répondit que personne ne doutait de ce don qu'avait le roi. Mais je sus fort bien que tout avait été lu au roi qui, quoique tout enfant (il fut sacré à 12 ans), aime entendre dire qu'il avait opéré ce miracle. »

À partir de 1739, le Bien-Aimé refusa catégoriquement de toucher dorénavant les écrouelles. Mais le rite était encore bien présent à l’esprit de Benoît XIV, pape italien de 1740 à 1748, quand il écrit :

« Citons par exemple le privilège qu'ont les rois de France de guérir les écrouelles non par une vertu qui leur est innée, mais par une grâce qui leur est accordée gratuitement, soit lorsque Clovis embrassa la foi – une légende selon Marc Bloch –, soit lorsque saint Marcoul l'obtint de Dieu pour tous les rois de France. »

Charles X renoua avec la tradition du sacre à Reims, qui se déroula le 29 mai 1825, malgré l’opposition des libéraux qui la tenaient pour une mascarade. Toutefois, il renonça à celle des écrouelles. Les malades, venus en nombre, furent immensément déçus. Le roi consentit à leur remettre une somme d'argent, mais elle ne les intéressait pas : ils réclamaient avec insistance leur guérison. Aussi prit-il la décision de se rendre le surlendemain chez les religieuses de l'hospice Saint-Marcoul de la ville, où l'attendaient 130 malades, et se livra au rituel ancestral dans la chapelle. Le chanoine Louis Charles Cerf, qui rendit compte de l'événement, publia le procès-verbal de la guérison de cinq malades, signé par deux religieuses et contresigné par l'aumônier de l'établissement le 8 octobre.

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