Dracula vole la vedette à Carmilla.
En 1897, Bram Stocker créa un héros (ou antihéros ?) dont le succès ne devait jamais se départir, et ce jusqu’à nos jours : le comte Dracula, vampire par excellence. L’écrivain a trouvé son inspiration fantastique dans la vie d’un personnage historique bien réel : Vlad III Basarab (mort en 1476), un voïvode de Transylvanie. Ce seigneur puissant était désigné par l’épithète de Tepes (en roumain) ou l’Empaleur à cause de sa manie d’embrocher sur des pieux ses captifs turcs et, à l’occasion, quelques marchands allemands devenus indésirables, voire quelques membres gênants de la vieille noblesse.
Ce roman de Stocker, dont l’intrigue plonge ses sources au temps de la grande expansion de l’Empire ottoman en Europe centrale, s’inscrit bien dans la veine d’un romantisme néogothique faisant florès dans l’Angleterre victorienne. Mais en fait, le Dracula de Stocker a depuis des décennies volé la vedette à une sulfureuse héroïne de Joseph Sheridan le Fanu, Carmilla, ancêtre de tous nos suceurs de sang médiatisés par la littérature, le cinéma ou la bande dessinée. Et là encore, le « modèle » s’inspire d’un personnage réel et de sa sulfureuse biographie ou… légende.
Le premier vampire célèbre est une femme
Le Fanu donne vie à son personnage en 1872 à une époque où le public n’est absolument pas familiarisé avec les histoires romanesques de vampires. Cet auteur, un précurseur du genre, crée la surprise des lecteurs avec son intrigue, par ailleurs plus osée que celle de Stocker, car elle met en scène une histoire d’amour saphique et morbide entre Laura, fille d’un diplomate britannique en poste en Styrie, et la vampire Carmilla, anagramme de Mircalla, une comtesse de Karstein ayant vécu au XVIIe siècle. Dans ce récit troublant, des jeunes femmes disparaissent ou meurent de manière inexpliquée à la grande satisfaction de la mystérieuse et cruelle Mircalla-Carmilla.
Erzsébet, le vrai prototype ?
Et bien sûr, aujourd’hui, chacun pense que l’inspiratrice de ce récit abominable ne peut-être qu’Erzsébet Báthory, cette noble sanguinaire qui finit ses jours en 1614, emmurée dans l’un de ses châteaux pour avoir torturé et tué plus de 650 jeunes filles, se baignant au passage dans leur sang afin de ne pas voir flétrir sa jeunesse. Mais la comtesse Báthory fut-elle réellement ce monstre qui sied si bien aux metteurs en scène de films d’horreur ? Ou bien fut-elle une noble, certes cruelle et violente, c’était dans l’air du temps, mais en rien un suppôt de Satan. Les détails du caractère horrifique (ses bains de jouvence dans du sang de vierges) des actes de la comtesse Báthory apparaissent en fait pour la première fois en 1729 sous la plume d’un jésuite, Laszlo Turoczi, dans une histoire de Hongrie (Ungaria suis cum…). Ces horreurs sont ensuite relayées en 1735 par Matej Bel. En 1765, quelques rapports de témoignages, obtenus sous la torture, de la part de « complices » ont été retrouvés et publiés en 1817. Aucun ne mentionne les fameux bains « magiques », mais le mythe horrifique demeure.
Par Louise-Marie Libert