Tôjô Hideki : l’Hitler raté japonais

Avec ses cheveux coupés courts, sa moustache et ses lunettes rondes, chef de guerre de l’Armée impériale japonaise, le général Tôjô Hideki, offrit à la propagande alliée le personnage le plus caricaturé de la dictature militaire nippone de toute la campagne du Pacifique. Rusé dans les conflits internes de la bureaucratie, ardent défenseur des intérêts de l’armée tout en étant lui-même ministre de la Guerre, il se révéla pourtant étonnamment indécis en tant que chef d’État.

Tôjô le Rasoir, comme le surnommaient ses pairs et subalternes, était réputé pour son efficacité bureaucratique ainsi que pour son attention stricte et intransigeante aux détails. Grâce au soutien d’un corps militaire qui cherchait à améliorer et à moderniser l’arsenal de guerre japonais malgré un budget restreint et des interférences civiles, le général Tôjô grimpa les échelons de la hiérarchie. Il construisit son propre socle de pouvoir et usa de son statut de responsable de la police militaire dans la province occupée de Mandchourie pour asseoir la domination du Japon dans la région, avant d’être promu au rang de chef d’état-major de l’armée du Kwantung en 1937. Son rôle fut ainsi prépondérant dans l’ouverture des hostilités avec la Chine en juillet de cette même année. Ce n’est pourtant que quelques mois plus tard que le général Tôjô connut sa première expérience au combat en menant deux brigades lors d’opérations en Mongolie-Intérieure.

Estimant qu’une occupation militaire du territoire chinois était nécessaire pour forcer les nationalistes au pouvoir à collaborer avec le Japon, il continua de soutenir l’élargissement du conflit dans le pays lorsqu’il rentra à Tokyo en 1938 en tant que vice-ministre de l’Armée et, en juillet 1940, sous son nouveau statut ministre de la Guerre. Par la suite, il prôna une alliance avec l’Allemagne (où il occupa un poste d’attaché militaire à l’ambassade de Berlin entre 1920 et 1922) et avec l’Italie. Enfin, il encouragea la formation d’un large front politique fondé sur l’unité nationale. En octobre 1941, il devint Premier ministre.

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Tôjô, qui préconisait l’usage de la diplomatie avant toute décision, donna pourtant le dernier feu vert aux attaques perpétrées contre les États-Unis, la Grande Bretagne et les Indes orientales néerlandaises en décembre 1941. Les premières victoires militaires du Japon renforcèrent considérablement son prestige et sa détermination qui le menait à affirmer qu’à certains moments les hommes d’État devaient croire en la Victoire.

Lorsque la guerre s’intensifia, le Japon commença à essuyer de lourdes pertes et les bases fragiles de son secteur industriel menacèrent de s’écrouler. Le général Tôjô, comme à son habitude, chercha à user de tous les pouvoirs qu’il détenait pour changer cette situation. Disposant déjà de la double casquette de Premier ministre et de ministre de la Guerre, il n’hésita pas non plus à occuper à plusieurs reprises les ministères des Affaires intérieures (qui lui accorda les commandes de la redoutée police de la pensée), de l’Éducation, des Munitions, du Commerce et de l’Industrie ainsi que des Affaires étrangères. En février 1944, il assuma même la direction des opérations militaires en tant que ministre de l’Armée impériale. Toutefois, malgré sa présence sur tous les fronts, Tôjô ne fut jamais capable d’instaurer une dictature semblable à celles représentées par Adolf Hitler et Joseph Staline. En effet, il répondait au nom de l’empereur au niveau constitutionnel, n’était soutenu par aucun parti unique au niveau politique et ne disposait d’aucun pouvoir sur d’importantes institutions centrales telles que le Zaibatsu (l’ensemble des entreprises phares du pays), la marine de guerre et les tribunaux. Après la victoire des forces américaines sur l’île de Saipan, en juillet 1944, il fut évincé du pouvoir contre l’avis de certains dignitaires proches de l’empereur qui estimaient qu’il devait assumer sa responsabilité dans les défaites militaires et être jugé par un tribunal compétent qui viendrait introduire la paix.

À la réédition du Japon, l’année suivante, le général Tôjô tenta de se suicider en apprenant qu’il risquait d’être arrêté par les forces d’occupation. Il fut finalement jugé coupable de crimes de guerre et pendu le 23 décembre 1948. Durant son procès, il endossa la responsabilité de la guerre et essaya de détourner l’attention des juges de l’empereur. En 1978, malgré le refus de nombreux citoyens japonais d’honorer le nom de celui qui, à leurs yeux, avait plongé le pays dans le chaos, le nom du général Tôjô ainsi que celui de treize autres criminels de guerre classés A (coupables de crime contre la paix) fut inscrit à Yasukuni, l’autel de Tokyo dédié à la mémoire des guerriers déchus durant leur service envers la famille impériale.

Traduction & adaptation : Maxime Wève.

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