Drogues de guerre – 2. Nazisme et dépendance

Le premier grand conflit dans lequel l’usage de drogues joua un rôle majeur fut la Guerre de Sécession américaine. Au cours de celle-ci, plus de dix millions de comprimés et 93 tonnes d’opium furent distribués aux seuls soldats de l’Union. Et l’on peut raisonnablement estimer que les mêmes quantités furent utilisées du côté des Confédérés. Une des particularités des hommes sous influence de cette drogue est qu’ils perdent la notion de peur et la conscience de leur vulnérabilité. Les combats opposaient donc des hommes qui  se jetaient dans la mêlée en planant sous l’effet de l’opium. Et quand la guerre se termina, près de 500 000 accros rentrèrent chez eux pour apprendre qu’ils pouvaient continuer à passer commande de ce produit sur catalogue. Livrés à domicile par-dessus le marché.

 

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Mais dans le domaine d’une guerre qui carburait aux drogues, personne ne pouvait surpasser les nazis, qui gagnèrent leur Blitzkrieg avec des hommes sous influence des cristaux de méthamphétamine.

Bien que l’éphédrine (1), le produit de base, ait été isolé et étudié à la fin du 19e siècle, c’est la compagnie pharmaceutique allemande Temmler qui réussit la première à fabriquer un composé stable sous forme de tablettes, en 1938. Bien que ce produit fût destiné à un usage psychiatrique, son potentiel dans le domaine militaire fut immédiatement décelé par les chefs nazis. Ils réalisèrent qu’à forte dose, il gardait les troupes en action pendant plusieurs jours, sans s’arrêter pour dormir. Et on ne parle pas ici d’une tablette ou deux que l’on prend à l’occasion. Entre août et septembre 1939, dix millions de tablettes de « speed » furent distribuées aux troupes qui envahissaient la Pologne, avec aucune restriction de Panzerschokolade pour les colonnes blindées et de Fliegerschokolade pour les aviateurs de la Luftwaffe (2).

 

 

On prétendit aux utilisateurs que les pilules et le chocolat étaient mélangés à des multivitamines pour conserver tout le monde en bonne santé. Mais le succès et la vitesse du Blitzkrieg doivent tout au speed. Une consommation aussi excessive de méthamphétamine n’allait pas seulement laisser des séquelles physiques, mais allait provoquer des effets psychologiques prononcés. Ces accros au speed avaient noté le manque d’émotions et de capacité d’empathie provoquées par cette surconsommation. Ceci n’est en aucun cas présenté comme la moitié du quart d’une excuse aux brutalités des Allemands en Pologne. Il s’agit simplement d’un fait.

 

Hitler et Theodor Morell

 

Pendant que ses troupes progressaient avec l’aide du speed, Hitler devenait, lui aussi, de plus en plus accro à la même drogue. Son médicastre personnel, terme employé à dessein, était un charlatan appelé Théo Morell, dont certains des « traitements alternatifs » flirtaient dangereusement avec la tentative d’homicide. Surnommé par Göring Der Reischspritzenmeister – le Maître de l’injection du Reich – Morell faisait plus de six fois par jour au Führer des piqures d’un mélange de vitamines et d’amphétamines. Ceci explique l’apparition chez son patient de symptômes similaires à ceux de la Maladie de Parkinson, et également l’habitude qu’il avait prise de convoquer ses adjoints à des conférences nocturnes qui se résumaient à engueuler tout le monde pendant des heures, en proie à une paranoïa typique chez les abuseurs de méthamphétamines. Comme la guerre se prolongeait, même la Pervitine, une des plus populaires médications de l’époque n’était plus assez forte pour faire marcher les troupes.

 

 

Le vice-amiral Helmuth Heye (1895-1970) fit une demande d’un meilleur, ou pire, produit, selon l’angle sous lequel on aborde le problème. Répondant à cet appel, Gérard Orzechowski, un pharmacien de Kiel, présenta un cocktail létal de cocaïne, pervitine et de morphine, le D-IX. Les essais de cette horreur furent effectués sur des prisonniers du camp de concentration de Sachsenhausen, et les tribulations des malheureux cobayes furent notées par Odd Nansen (1901-1973), le fils du grand explorateur polaire, qui avait été interné pour avoir aidé des Juifs scandinaves à échapper aux nazis. Selon Nansen, les cobayes pouvaient marcher sans s’arrêter sur plus de 60 km en portant une charge de 20 kilos. Mais après cela, ils étaient réduits à l’état d’épaves bredouillantes, qui ne savaient plus quel jour on était.

 

Helmuth Heye

Heureusement, à part quelques essais limités sur quelques infortunés sous-mariniers de Heye, le D-IX ne fut jamais distribué.

 

1. L’éphédrine est extraite d’une plante, l’ephedra vulgaris, dont la structure chimique est proche de celle de l’adrénaline. Gordon Alles, chercheur à l’UCLA réussit en 1927 la synthèse d’un dérivé, l’amphétamine, aux effets stimulants, euphorisants et anoxérigènes.

2. Les pilotes de la RAF, en large état d’infériorité numérique pendant la Bataille d’Angleterre, firent également un ample usage d’un autre produit du genre, la benzédrine. 

 

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