Ivrognerie, pudibonderie et….confiture : l’incendie du palais du Coudenberg de Bruxelles en 1731

Dans la nuit du 3 au 4 février 1731, les habitants de Bruxelles voient rougeoyer la colline du Coudenberg, des flammes s’élèvent haut dans le ciel. Le bon peuple n’est pas long à comprendre que le vénérable palais de Bruxelles est en train de brûler. N’écoutant que leur bon cœur, beaucoup de Bruxellois veulent prêter main-forte aux « pompiers », car ils savent combien cette bâtisse est unique. Mais le gouverneur militaire de la ville, le maréchal Wrangel, se méprend sur leurs intentions. Croyant avoir à faire à une bande de pillards, il fait disperser la foule, à coups de crosse, par les soldats.

En effet, le palais est alors la résidence de Marie-Elisabeth, sœur de Charles VI, empereur germanique et chef de la Maison d’Autriche. La dame, une « femme de caractère » et même de mauvais caractère, assure la régence dans les anciens Pays-Bas, alors possession des Habsbourg de Vienne. Les gardes, en majorité des Allemands comme leur chef Wrangel, sont peu proches de la population et méfiants. Alors, un grand état de confusion régna partout. Il ne se trouva personne pour donner des ordres afin de circonscrire les flammes. En plus, force fut de s’apercevoir que l’eau des réserves avait gelé. Les brasseurs, eux aussi alertés, apportèrent des tonneaux, mais l’eau s’y transformait rapidement en glace.

La méprise de Wrangel et le précieux temps perdu par les secouristes vinrent s’ajouter à toute la série de concours de circonstances, des plus incroyables, qui réduisirent le palais et une grande partie de ses superbes collections de livres et d’œuvres d’art en cendres fumantes en quelques heures à peine.

Le 3 février 1731, l’archiduchesse Marie-Elisabeth avait fait donner un bal. Le vin avait coulé à flots, car la régente était plutôt portée sur la bouteille. Les domestiques semblent en avoir profité pour festoyer autant que les convives. Cuisiniers, marmitons et serviteurs, pour la plupart ivres, s’affairent encore tard dans la nuit pour faire un gâteau quand soudain une coulée de sucre prend feu. Dans leur ébriété, pris de panique, ils ne parviennent pas à circonscrire les flammes qui se propagent aux étages du palais. Enfin… ce fut la version officielle.

Mais des gens bien informés affirmèrent qu’il était facile de « faire porter le chapeau » aux plus humbles et que le brasier s’était en réalité allumé dans la chambre de la dame Cappellini, femme de chambre de l’archiduchesse. Sans doute aussi avinée que le personnel de cuisine, elle s’était endormie sans moucher sa chandelle qui embrasa les rideaux du lit. Très vite, les planchers commencèrent à s’effondrer. Dans une pièce voisine, Marie-Elisabeth cuvait elle aussi, plongée dans un sommeil si profond qu’il lui eût coûté la vie sans les aboiements de son petit chien qui ne la quittait jamais.

Ivrognerie et confiture ou chandelle non éteinte : ce fut la première erreur. Ce qui suit est encore plus incroyable !!!

L’archiduchesse se complaisait dans l’ivrognerie et la goinfrerie, mais, par contre, en grande bigote, elle était la pudibonderie faite femme. La très prude régente exigeait que, la nuit venue, l’on enfermât chacun dans sa chambre afin d’éviter les discrets rendez-vous galants entre courtisans. Cette stupide mesure en inquiétait plus d’un, car tous les gens de la Cour étaient privés de clef pour ouvrir leur porte de l’intérieur en cas de danger. Un vrai piège ! Les plus avisés des occupants du palais avaient pris la précaution de cacher discrètement une hache sous leur lit. Grâce à cette prévoyance, quelques courtisans réussirent à sauver leur vie et celle de plusieurs autres personnes au cours de cette terrible nuit de février 1731.

Se retrouvant en chemise et n’ayant pu enfiler qu’un seul bas, Marie-Elisabeth, qui faisait preuve de sang-froid en d’autres circonstances, ne trouva rien de mieux à faire que de se réfugier dans sa chapelle privée et d’y prier dévotement. Un robuste jeune grenadier enfonça sa porte et porta l’Altesse hors de ses appartements, la tenant à bras le corps.

Après les évènements, il reçut une récompense, mais également une punition. Serrer l’Archiduchesse en chemise dans ses bras, même pour lui sauver la vie, était très indécent. Un autre soldat, ayant également aidé à évacuer Marie-Elisabeth, resta handicapé à vie à cause de ses brûlures. Il dut batailler afin que lui soit maintenue sa solde dans son intégralité.

Pendant nombreuses années, le Coudenberg, couvert des vestiges de l’une des plus belles nobles demeures d’Europe, porta le nom de « Cour brûlée » et devint le repère de gens de sac et de cordes. Heureusement, le bon Charles de Lorraine succéda à Marie-Elisabeth après la mort de celle-ci en 1741. L’harmonieuse place Royale de Bruxelles allait naître sur le Coudenberg.

Mais en sous-sol, le visiteur curieux découvre de bien étonnants vestiges remarquablement mis en valeur : une plongée dans le passé de Bruxelles.  

Auteur : Louise-Marie Libert, médiéviste, auteur des "Plus terribles affaires de sorcellerie", de "Ces morts... toujours vivants ?", des "Plus mauvaises mères de l'Histoire" et des "Plus piquantes anecdotes de nos princesses", aux Editions Jourdan.

Retour en haut