Les galères, et quelle galère !

Les galères, et quelle galère !

Faire d’une pierre deux coups

Pour Colbert, les galères servaient moins à punir de graves délits qu’à protéger les navires français contre les pirates et les ennemis. Son souhait était que les cours condamnent le plus de criminels possible pour «servir le roi en ramant», plutôt que de les pendre sans aucun intérêt pour l’Etat. Il connut des années fastes. Dans ce cas contraire, les intendants de province s’activaient auprès des juges, mais, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer en plein absolutisme, pas toujours avec succès révèle Arlette Lebigre, preuves à l’appui.

Épouvantable antichambre de la peine

Avant d’être envoyés aux galères, les condamnés croupissaient dans des prisons où les conditions de vie étaient atroces. L’insalubrité et la promiscuité étaient la première cause de décès. Ainsi, en 1694, Monsieur de Gastines se plaignit au secrétaire d’Etat de la Marine des fosses d’aisance de la prison de Saint- Malo qui, saturées, répandaient leur pestilence dans les cachots « où l’on mourrait plus que de raison. »

Un témoin rapporte ainsi sa visite en compagnie du curé de Saumur, en novembre 1711, de la tour Grenetière où étaient incarcérés des prisonniers angevins :

«Il y a trois chambres où les faux sauniers (contrebandiers du sel) condamnés aux galères sont renfermés et couchés sur de la paille pourrie et pleine de vermine; qu’à peine y peut-on respirer, l’air n’y entrant que par une fenêtre fort étroite; que les deux dernières années il y a eu plus de soixante prisonniers en chaque chambre qui s’infestaient et s’étouffaient les uns les autres, tant il y étaient pressés; que la dysenterie et la peste y en firent mourir plus de deux cents […] Ce qui augmente la misère de ces pauvres prisonniers, c’est que non seulement ils sont mal nourris, n’ayant qu’un peu de pain à manger et d’eau pure à boire, entassés les uns sur les autres, dans un lieu fort étroit et sans air, mais ils sont attachés deux à deux par le cou avec une chaîne de fer, de sorte qu’ils ne peuvent quasi se remuer sans se blesser. »

Les soins que les condamnés recevaient des médecins et chirurgiens s’avéraient au moins aussi dangereux que les maladies elles-mêmes, comme attesté à Paris au début du XVIIesiècle. Les futurs galériens étaient notamment renfermés dans la tour Saint-Bernard, située le long du quai de la Tournelle, sur la rive gauche de la Seine, quand la Conciergerie était saturée. Les prisonniers y étaient laissés exsangues après des saignées abusives « afin de tenir tous les couloirs libres », les scorbutiques étaient littéralement vidés par des lavements incessants et les vénériens se voyaient administrer quantité de purgatifs à base de mercure, de chaux vive, d’antimoine et d’arsenic qui les achevaient souvent. Le service médical s’avouait impuissant en cas de gale, caractérisée « par de grosses pustules, et qui s’étend communément à toute l’habitude du corps; elle occasionne de fréquents abcès, surtout aux aisselles et aux seins; ils se multiplient, ils se succèdent dans les personnes vigoureuses; dans les faibles, l’humeur plonge souvent sur le poumon ; jetée sur l’œil par l’effet d’une crise, quelquefois elle le fait suppurer et le crève promptement; attaque-t-elle un os poreux, comme le sternum, il est bientôt carié ». Avec les frottements du corps au mercure, destinés en principe à soulager, les prisonniers «tombent en convulsion, en paralysie, tantôt ils perdent connaissance, d’autres fois ils sont oppressés et surpris de coliques ».

La bastonnade

À bord, le commandant du navire punissait les petits délits des galériens par la bastonnade. Ce châtiment ordinaire était en fait un supplice avec son rituel, son bourreau et ses spectateurs. Jean Marteilhe, envoyé aux galères de Dunkerque à l’âge de 17 ans parce qu’il était protestant, libéré en 1713 à l’âge de 29 ans, raconte :

« On fait dépouiller tout nu, de la ceinture en haut, le malheureux qui la doit recevoir. On lui fait mettre le ventre sur le coursier de la galère, ses jambes pendantes dans son banc, et ses bras dans son banc à l’opposite. On lui fait tenir les jambes par deux forçats et les bras par deux autres, et le dos en haut tout à découvert et sans chemise, et le comite est derrière lui, qui frappe avec une corde robuste un Turc, pour l’animer à frapper de toutes ses forces avec une grosse corde sur le dos du pauvre patient. Ce Turc est aussi tout nu et sans chemise ; et comme il sait qu’il n’y aurait pas de ménagement pour lui s’il épargnait le moindre du monde le pauvre misérable que l’on châtie avec tant de cruauté, il applique ses coups de toutes ses forces, de sorte que chaque coup de corde qu’il donne fait une contusion élevée d’un pouce. Rarement, ceux qui sont condamnés à un tel supplice en peuvent-ils supporter dix à douze coups sans perdre la parole et le mouvement. Cela n’empêche pas que l’on continue à frapper sur ce pauvre corps, sans qu’il crie ni qu’il remue, jusques au nombre de coups à quoi il est condamné par le major. Vingt ou trente coups n’est que pour les peccadilles, mais j’ai vu qu’on en donnait cinquante ou quatre-vingts, et même cent ; mais ceux-là n’en reviennent guère. Après donc que ce pauvre patient a reçu les coups ordonnés, le barbier ou frater (chirurgien) de la galère vient lui frotter le dos tout déchiré avec du fort vinaigre et du sel pour faire reprendre la sensibilité à ce pauvre corps, et pour empêcher que la gangrène ne s’y mette. »

Atroce défilé de galériens

Vers 1625, Jean Martin témoigne de l’arrivée spectaculaire à Loudun de galériens, réquisitionnés comme ouvriers, dont le défilé émut les plus endurcis. «Deux cerclages de cou sont joints par une chaîne. Avec ces colliers de fer, les galériens sont attachés en couple. Au maillon du milieu, un anneau dans lequel coulisse une autre chaîne, lourde, immense puisqu’elle court tout au long d’une file de cinq cents hommes. Ils vont à pied, écrasés par toute cette ferraille, frappés à tour de bras avec de la grosse corde goudronnée. Il en est mort une trentaine depuis Rochefort (Charente- Maritime). »

Poète à bord

Extraits d’un poème anonyme écrit en langue provençale, in lou Jardin deys musos provençalos, et traduit par Laurent Damonte :

« Nous dormons à quatre ou cinq dans un banc Qui n’a pas trois pans de carrure,
Qui semble fait à la mesure
D’une caisse pour mettre un mort.

Et puis encore, pour tout confort,
Il faut que dans cette brancade,

Mangions et chiions tous ensemble. »

« Ce qui nous fâche le plus,

Vous ne le croiriez jamais,
C’est que nous ayons l’échine,
À cause des punaises et de la vermine, Rongée jusqu’à moitié ;
Quant aux poux, nous n’en faisons guère cas, Même, lorsqu’ils sont gros comme des fèves. Nous mangeons dans les gavettes
Comme des porcs en vérité »
« Il faut se préparer à ramer,
Tout nus comme des vers de terre,
Pour faire virer la galère. »

Violence et libido

Durant l’hiver, Marseille devenait le port d’attache des galères. Les galériens pouvaient pratiquer de petits boulots rémunérateurs, mais enchaînés deux à deux. La sécurité n’était pas pour autant garantie en ville. Ainsi, en avril 1693, un forçat tavernier, attaché à un Turc, réussit à assassiner son pertuisanier (garde-chiourme) dans une cave de la ville où il était allé chercher du vin. « Il dit à celuy-ci de percer le tonneau, et dans le temps qu’il se baissait pour le faire, il luy deschargea un coup de couteau dans le cou et deux dans le cœur qui achevèrent de le tuer. » En 1701, trois hommes furent traduits devant un Conseil de Guerre pour avoir admis en leur galère, à une heure indue, une femme déguisée en homme. Egalement jugée, elle fut condamnée à avoir le nez et les oreilles coupées. Toutefois la sentence ne fut pas exécutée parce qu’elle était enceinte de trois mois.

À défaut de bordels à bord, les relations homosexuelles étaient, semble-t-il, habituelles et le plus souvent tolérées parmi la chiourme. Pourtant, en 1670, l’intendant général Nicolas Arnoul fit juger et condamner à mort deux esclaves et un forçat « qui ont été convaincus de crime de sodomie ».

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