Florence, 7 février 1497. C’est mardi gras. Les rues sont noires de monde. Sur une place, un immense bûcher crépite. Les flammes s’élèvent à une dizaine de mètres de hauteur. L’un après l’autre, les passants s’approchent. Ils ont les bras chargés d’objets, qu’ils déversent dans le brasier et regardent brûler sans rien dire. Livres, miroirs, bijoux, vêtements d’apparat… Ce ne sont pas de vieilles babioles, mais bien des objets précieux que les Florentins jettent ainsi au feu, par milliers. Tandis que certains se débarrassent de pots de maquillage ou d’instruments de musique, un homme s’avance, portant dans ses bras plusieurs toiles et des dessins. Certains reconnaissent le peintre Sandro Botticelli, ancien élève de Filippo Lippi et de la famille des Médicis. Que fait Botticelli avec toutes ses oeuvres ? Incroyable ! Il les jette au feu ! Puis il s’éloigne sans se retourner, tandis que ses chefs-d’oeuvre se consument… Aurait-il perdu la tête ?
La réponse est non. Botticelli n’a tout simplement pas le choix. Depuis que Jérome Savonarole a instauré la théocratie à Florence, une ambiance d’Inquisition flotte sur la ville. Jésus-Christ a été proclamé roi. Certaines pratiques sexuelles ont été interdites. Ce matin du Mardi gras, les disciples de Savonarole ont parcouru la ville, revêtus de blouses blanches, pour inciter le peuple à faire la charité. Au passage, ils ont collecté tous les objets soupçonnés de pousser au péché et à la corruption sexuelle. Des miroirs aux bijoux en passant par les vêtements de luxe, les Florentins ont accepté de se délester de ces vanités, qui sont allé nourrir l’immense bûcher allumé pour l’occasion. Par la même occasion, d’innombrables chefs-d’oeuvre partent en fumée : objets d’art, instruments, livres jugés immoraux, comme ceux des poètes Pétrarque et Boccace. C’est toute une partie de la Renaissance humaniste qui est en train de partir en fumée…
Botticelli n’échappera pas à cet effroyable autodafé. Chassés de la ville, les Médicis ne peuvent plus le protéger. Non seulement il doit renoncer à peindre des nus féminins, mais il est contraint de porter lui-même plusieurs de ses toiles sur le bûcher des Vanités. Un désastre…