14-18 : même à l’arrière on dénonçait ! (Lettre de délation d’une institutrice)

Dans les archives départementales du Morbihan, nous pouvons lire cette lettre de 1915, écrite par Louise Beller, institutrice, adressée à sa préfecture...

 

« Calan, 21 mai 1915

 

Monsieur le Préfet,

 

Je trouve qu’il est de mon devoir d’institutrice française de vous faire part des conversations qui me reviennent de plusieurs sources en relatant les récits d’un jeune zouave, Le Cren, Pierre, hospitalisé depuis mars et arrivé au pays depuis quelques jours. Les récits faits par ce jeune homme ont du crédit car il est plus instruit que la majorité des hommes du pays. Je ne cherche pas à lui nuire, Mr le Préfet, je n’ai jamais eu que de bonnes relations avec les siens mais je sens qu’inconsciemment ou par vantardise il va influencer l’esprit de nos pauvres bretons qui juste commençaient à avoir confiance en la France.

Hier, il disait que les Belges avec lesquels il était préfèreraient tous voir le triomphe de l’Allemagne, que le gouvernement belge veut également que notre adversaire ait le dessus ; que les Belges préfèreraient les soldats allemands aux français ; que les Allemands étaient très polis où ils passaient, que nos soldats dévastaient leurs fermes, etc. etc.

Il serait bon qu’il reçoive un petit avertissement car il va faire bien du mal ; nous avons eu tant à combattre, tant à nous dépenser pour essayer de faire naitre la confiance chez nos Bretons méfiants même de leur pays ! Les paroles du jeune zouave sont bues et se distilleront dans tout le pays. Du reste il est de la classe 14, de celle dont tous les jeunes gens sont partis la mort au cœur, grâce à quelques imbéciles revenus en convalescence. Mon père, un vieux brave de 70, avait réussi à se faire aimer de la petite classe 15. Il les a encouragés, il a réussi à en faire de vrais patriotes qui sont partis gais et qui écrivent d’une façon très encourageante à leurs parents et cependant parmi ceux-là il en est un qui a avoué à mon père qu’il s’était abîmé la jambe pour ne pas être accepté au conseil de révision parce qu’un soldat revenu du front l’avait effrayé. Ce petit de la classe 15 est le plus content de tous maintenant. Alors, il ne faudrait pas que notre zouave mette son mois de convalescence à détruire ce que nous avons eu tant de peine à édifier.

Veuillez m’excuser, Monsieur le Préfet, et croire à mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.

 

Louise Beller

née Le Béhérec »

 

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