Prince aimable, mais de nature nerveuse et impressionnable, le futur Charles VI ruinait sa santé déjà fragile en plaisirs et ripailles. Le 5 août 1392, alors qu’il manifestait des troubles sensoriels passagers depuis quelques mois, le prince devenu roi chevauchait dans la forêt du Mans pour aller venger le connétable Olivier de Clisson, qui avait été attaqué par un cousin du duc de Bretagne, Pierre de Craon.
Quand il sortit du bois, il fut aveuglé par le soleil et se plaignit de la chaleur, d’autant qu’il était revêtu d’un gros pourpoint. Sa suite, dont deux pages, se tenait à distance pour que la poussière de la route ne l’incommode pas. Sous l’effet de la chaleur, il s’endormit. Soudain, la lance d’un des pages tomba bruyamment sur le casque du second. Réveillé en sursaut, le roi s’écria : « Les ennemis ! Aux armes ! » et, l’épée au poing, chargea devant lui son propre frère, qui s’enfuit au galop. Au passage, il renversa les pages, puis blessa et tua des gens de l’escorte.
Charles VI saisi de folie non loin du Mans, enluminure du XVe siècle
Quand il arrêta sa course folle, épuisé, le chevalier Guillaume Martel parvint à le ceinturer par derrière. Le roi fut emmené sur une litière, lançant des regards haineux à ses proches, et délira quatre jours. Certains invoquèrent un empoisonnement par son frère, le duc d’Orléans, expert en alchimie et en poisons, d’autres un ensorcellement.
CharlesVI pourchasse son frère dans la forêt du Mans, enluminure du XVe siècle
Après quinze jours, il se rétablit, mais il fallut se rendre à l’évidence : le roi était fou ! A intervalles réguliers, ses crises reprenaient et il finit par n’être plus qu’un infirme, jouet de son entourage. En cas de crise, on l’attachait à son lit, sinon il lui arrivait, sous l’effet des charbons ardents qu’il croyait sentir brûler en lui, de courir à quatre pattes sur les dalles de sa chambre en hurlant longuement, comme un loup blessé. » Selon Juvénal des Ursins, ce malade hargneux était « tout plein de poux, de vermine et d’ordures ».
Il fallait recourir à dix hommes, déguisés et le visage noirci, pour le laver, le raser, le faire manger…[1].
« Le bal des ardents »
Le mardi 28 janvier 1393, on célébrait à l’hôtel Saint-Pol à Paris les noces d’une dame d’honneur de la reine Isabeau de Bavière, veuve pour la deuxième fois. On n’eut garde de priver le roi du charivari organisé à cette occasion, coutumier lorsqu’une veuve se remariait, car relevant de maladie, il avait bien besoin de se divertir. Vers minuit, il donna l’ordre d’éteindre toutes les torches de la grande salle.
Soudain, au milieu des danseurs, surgirent six hommes poilus comme des bêtes, vêtus de costumes collants couverts d’étoupe, le visage dissimulé sous un masque velu, dansant follement, hurlant comme des loups et commettant des gestes obscènes. Alors entra le duc d’Orléans, accompagné de quatre chevaliers et de dix porteurs de torches. Il en saisit une et l’approcha d’un des noceurs pour le reconnaître, mais son masque s’embrasa.
Le feu prit si vite aux touffes de lin et à tous les vêtements collants du malheureux qu’il gagna quasi simultanément ceux de ses camarades. En voulant éteindre les flammes et enlever leurs habits, les victimes se calcinèrent les mains. Yvain de Foix n’eut même pas le temps de se précipiter vers la porte où ses valets lui tendaient des draps mouillés. Le sire Nantouillet put courir jusqu’à la cuisine et se jeter dans le cuveau à vaisselle. Quatre danseurs périrent. Les détails suivants ont frappé l’imagination du Religieux de Saint-Denis : « Le feu pénétra leurs parties intérieures, jusqu’à l’intérieur du nombril. Leurs organes génitaux avec leurs verges viriles qui tombaient par morceaux ensanglantaient le pavé de la salle ».
Charles VI serait sans doute lui-même parti en fumée sans la présence d’esprit de la jeune duchesse de Berry, avec qui il était en train de bavarder : elle s’était précipitée sur lui et l’avait recouvert de ses nombreuses jupes, geste qui en toute autre occasion eût été interprété comme une flamme amoureuse…
Mariée précoce
Le 9 mars 1396 s’achevaient les négociations du mariage de Richard II d’Angleterre (1367-1400) avec d’Isabelle de France, fille de Charles VI. Veuf à 27 ans, sans descendance, il épousait une enfant de six ans… [2].
[1] BORD L.-J., Généalogie commentée des rois de France, Vouillé, Chiré, 1985, p. 211. - MIQUEL P., Des histoires de France, Fayard, 1980, pp 196-197. - GRAFTEAUX S. Le défi des ducs, J.-P. Delarge, 1980, p. 25. - AUTRAND F., Charles VI, Fayard, 1986, p. 316.
[2]AUTRAND F., Charles VI, Fayard, 1986, pp. 299-300, 338-339. - BRETON G., Histoire d’amour de l’histoire de France, Bordeaux, Noir et Blanc, t. I, 1955 p. 251.