On raconte souvent que Fanta fut soit inventé par Hitler, soit que ce dernier ordonna sa conception, en tant qu’alternative acceptable pour les « bons » Allemands qui devraient éviter le Coca-Cola.
Mais Hitler n’avait aucun grief particulier à formuler à Coca-Cola, et bien que le Fanta soit effectivement une invention allemande de temps de guerre, la boisson est née plus du fait de restrictions que de considérations politiques.
La branche allemande de Coca-Cola, dirigée par son PDG Max Keith, adopta une ligne de conduite assez douteuse pendant la guerre. Coca-Cola GmbH fut l’un des principaux sponsors des Jeux Olympiques en 1936, et Keith et ses directeurs semblaient n’éprouver aucun problème à assister aux foires commerciales et autres manifestations du genre.
En 1936, son rival Afri-Cola, dirigé par un nazi délirant nommé Karl Flach, mit la main sur quelques capsules américaines porteuses d’inscriptions en hébreu. Bien que ce ne fût là que le témoignage des efforts faits par la maison-mère pour convaincre les acheteurs juifs que tous les ingrédients étaient casher, Flach publia des dépliants dénonçant Coca-Cola en tant que société juive.
Bien que le QG d’Atlanta lui ait donné pour instruction de ne pas répondre, Keith, plutôt stupidement, publia des démentis formels assurant qu’il n’y avait rien de juif dans Coca-Cola et, stupidement, fit publier ce démenti dans Der Stuermer, le magazine officiel du parti nazi, célèbre pour ses appels à la haine raciale et pour ses pamphlets antisémites virulents.
Keith venait à peine de surmonter cet obstacle quand Göring annonça un plan de quatre ans, au terme duquel toutes les sociétés basées en Allemagne devaient devenir autonomes, cherchant tous les éléments et composants dont elles avaient besoin en Allemagne ou chez ses alliés officiels.
Avec la fameuse recette secrète des sirops disponibles uniquement aux États-Unis, cette mesure semblait sonner le glas pour Coca-Cola GmbH, jusqu’à ce que Keith arrive, moyennant un considérable pot-de-vin versé à Göring en personne, à obtenir un permis spécial d’importation.
Quand Hitler envahit la Tchécoslovaquie, Coca-Cola GmbH posa un geste pronazi : dans l’édition d’octobre de Die Wermacht, le magazine des Forces armées allemandes, la compagnie fit publier sur une pleine page la photo d’une main tenant une bouteille de Coca Cola surmontant une carte du monde, avec pour légende « Ja ! Coca-Cola hat Weltruft », ou « Oui, Coca-Cola jouit d’une réputation internationale ».
Sur les talons des forces d’invasion, Coca-Cola Allemagne s’installa dans les Sudètes pour y construire une grande usine qui allait faire appel au travail obligatoire. À Atlanta, le flot de profits généré par ces installations semble avoir attiré l’attention. Il faut mettre au crédit de la maison-mère qu’elle a toujours très généreusement contribué aux fonds de compensations destinés à indemniser ces travailleurs forcés.
En 1941, avec l’entrée en guerre des États-Unis, les livraisons en provenance d’Atlanta cessèrent brutalement. Keith, après avoir distribué tous les stocks existants à l’Armée allemande et à la Luftwaffe, réunit ses directeurs pour une réunion de la dernière chance, leur déclarant qu’ils devaient, sous peine de disparaître, trouver un nouveau produit qui pourrait être fabriqué à partir de produits locaux disponibles.
Il convient également de préciser qu’à ce moment, le QG d’Atlanta avait perdu tout contact avec Keith, et n’apprendrait la vérité qu’après la fin du conflit. Keith se la jouait perso !
Au sujet du Coke et de l’aviation, les derniers cadeaux faits à la Luftwaffe provoquèrent une véritable consternation dans les rangs des pilotes de la RAF opérant en Afrique du Nord. Sans glace disponible, les Allemands fixaient avec des sangles quelques bouteilles de Coca, entourées par des serviettes humides sous les ailes de leurs chasseurs, pour les faire refroidir. Les pilotes anglais, voyant ces étranges ajouts sur les appareils de leurs adversaires, firent part de ces modifications de nature inconnue sur les chasseurs ennemis, ce qui amena tout le monde à se poser des questions pendant un certain temps.
Quoi qu’il en soit, Keith et son équipe finirent par créer le Fanta, fabriqué à partir des résidus de pressage des pommes pour le cidre, de petit-lait, et d’additifs. De manière surprenante, le goût était excellent, et on en vendit des millions.
Après la guerre, Keith fut arrêté pour collaboration, et fut finalement acquitté, après avoir envoyé les profits réalisés pendant l’intérim et la recette du Fanta à Atlanta, qui le fit revenir au bercail.
S’il est donc vrai que le Fanta fut une invention de guerre conçue en Allemagne, il est hors de question de prétendre que ce produit était la réponse d’Hitler au Coca « ennemi », et qu’il ait eu quoi que ce soit à voir avec sa création.
De même, Coca-Cola n’avait strictement rien à voir en la matière, Atlanta ignorant tout de ce que Keith faisait jusqu’en 1945.
Fanta se porte comme un charme de nos jours, et est vendu dans 180 pays, le Brésil en étant le plus gros consommateur. Peu de temps après la guerre, la compagnie française Perrier, inspirée par la réussite de Keith, décida de créer sa propre marque de boisson gazeuse aux fruits. Premier produit du genre à être fabriqué en France, il fut lancé sur le marché sous un nom inspiré par le bruit d’une bouteille que l’on ouvre. Il échoua cependant lamentablement à s’imposer sur le marché anglo-saxon. Il existe encore de nos jours, et est source de fous rires inextinguibles auprès des touristes anglais et américains, qui laissent les serveurs pantois en se demandant pourquoi ils se marrent comme des baleines quand ils demandent poliment s’ils veulent goûter une bouteille de Pschitt, orange ou citron. (Certainement à cause de l’homonymie entre la marque Pschitt et le vocable anglais shit, qui signifie de la merde.)