Joseph Vacher est responsable du meurtre et de la mutilation de onze personnes, soit plus du double du nombre de victimes massacrées par Jack l’Éventreur. Toutefois, Vacher semble condamné à rester éternellement dans l’ombre de son contemporain anglais. Même son surnom, l’Éventreur français, doit son existence au tueur de Whitechapel et s’il est connu dans sa France natale, c’est sous le nom de « Jack l’Éventreur français ».
Joseph Vacher expliqua ses crimes en déclarant que c’était un chien enragé, qui l’aurait mordu à l’âge de huit ans, qui était responsable de toutes ces morts. Sa folie provenait, selon lui, de la rage, qu’il avait contractée après cette morsure. Vacher ajouta que les remèdes que lui donnait l’herboriste du village n’avaient d’autre effet que de le rendre irritable et violent et de bouleverser à jamais sa personnalité. En supposant que l’histoire du chien soit véridique, l’enfance de ce tueur en série est très peu connue. Nous savons qu’il naquit le 16 novembre 1869 dans le département de l’Isère, dans la région de Rhône-Alpes, en France. Il était le quinzième et dernier enfant d’un couple de paysans. Son frère jumeau, le quatorzième, mourut étouffé lorsqu’il avait un mois.
Vacher aurait commis son premier meurtre à l’âge de quinze ans. La victime était un jeune garçon de dix ans qu’il viola et tua. En 1878, il entama des études chez les Frères maristes, mais il fut renvoyé chez lui lorsque l’on découvrit qu’il avait des relations sexuelles avec certains de ses camarades de classe. L’année suivante, Vacher fut inculpé de tentative de viol sur un jeune ouvrier agricole. Quelle qu’ait été la condamnation, elle ne devait pas être très importante, puisqu’à l’automne il trouva du travail en tant que serveur dans une brasserie à Grenoble. Certains racontent que c’est à ce moment-là que Vacher contracta une maladie vénérienne avec une prostituée. Toujours selon cette histoire, l’infection que provoqua cette maladie entraîna l’ablation d’un testicule.
D’autres sources avancent qu’il fréquentait un groupe d’anarchistes. Cette association est plutôt improbable puisqu’en 1890, à l’âge de vingt et un ans, Vacher s’enrôla dans l’armée française. Il fut envoyé dans l’ancienne ville de Besançon, non loin de la frontière suisse. Là, il tomba amoureux d’une jeune domestique, Louise Barrand, qui le trouvait ridicule.
Louise Barrand.
Le soldat Vacher gagna rapidement une réputation d’instructeur violent. Même s’il fut nommé sous-officier, il en vint à croire que son service militaire n’était pas reconnu à juste titre, et il tenta, par désespoir et en signe de protestation, de se trancher la gorge. Malgré cette tentative de suicide, il resta dans les rangs et bénéficia d’une nouvelle promotion.
En juin 1893, il fit sa demande en mariage à Louise, qui l’accueillit par un éclat de rire. Il tenta de tuer la jeune fille, mais son arme s’enraya. Avant l’arrivée de la police, il tenta de se suicider en se tirant une balle dans la tête. Même s’il survécut, la balle resta logée dans son crâne, ce qui provoqua une paralysie de la partie droite de son visage. Son œil droit fut également touché. Enfin, on estime que cette balle est la cause des dommages cérébraux, des maux de tête et de l’instabilité mentale dont Vacher souffrit toute sa vie.
Vacher fut envoyé dans un asile à Dôle. Là, on diagnostiqua sa paranoïa ainsi que ses hallucinations et il fut transféré six mois plus tard à l’asile de Saint-Robert en Isère. Le 1er avril 1894, on considéra qu’il était guéri et il retrouva sa liberté. Sans foyer, incapable de travailler, Vacher se mit à vagabonder sans but dans la campagne du sud-est de la France. Des témoins le décrivirent comme un personnage sale et difforme. Son œil droit semblait constamment suppurer. La paralysie partielle de son visage l’empêchait de s’exprimer de manière intelligible.
Pendant trois ans, il erra, mendiant et volant pour survivre. Il violait également des hommes et des femmes sur son chemin, avant de les tuer et de les mutiler. Vacher commit presque tous ses meurtres en tranchant d’abord la gorge de ses victimes et en leur tailladant ensuite la poitrine. La plupart des victimes de Vacher étaient des bergers ou des bergères, souvent adolescents. Ses armes étaient des couperets, des ciseaux ou des couteaux, bref, tout ce qui lui tombait dans les mains. Ses activités attirèrent rapidement l’attention des autorités, qui surnommèrent ce meurtrier insaisissable « L’Éventreur du sud-est ».
En 1895, il faillit se faire attraper : un gendarme l’aperçut alors qu’il marchait non loin du corps d’un garçon berger qu’il venait de tuer. Lorsqu’il l’appela pour l’identifier, Vacher lui remit ses papiers de libération de l’asile. Le gendarme remarqua qu’ils avaient jadis servi dans le même régiment et lui demanda s’il avait rencontré des personnes suspectes. Vacher répondit qu’il avait vu un homme courir dans les champs à un kilomètre de là. Le gendarme se lança alors à sa poursuite. La tuerie prit fin au début du mois d’août 1897, lorsque Vacher tomba sur une femme qui récoltait du bois, près de Lyon. Il voulut l’attaquer, mais il fut directement maîtrisé par le mari et les fils de sa victime. Vacher fut arrêté. Même si les autorités étaient convaincues que Vacher était bien l’Éventreur du sud-est, ils n’avaient ni témoins, ni preuves. Leur salut vint de Vacher lui-même qui choisit un jour, sans aucune explication, de confesser tous ses crimes.
Il expliqua qu’il n’était pas responsable de ses actions, rejetant la faute sur ce chien qui l’avait mordu et qui lui avait transmis la rage alors qu’il était enfant. Vacher était convaincu que son sang avait été empoisonné et que c’était à cause de cette maladie qu’il ressentait le besoin de boire le sang du cou de ses victimes. La haine jouait aussi un rôle dans ses meurtres : la haine de ceux que la vue de son visage déformé répugnait.
Vacher fut jugé avec ce qui sembla par la suite une rapidité injustifiée. Il fut examiné par une équipe de médecins qui déclarèrent que l’accusé était lucide. Le fait qu’il avait fui après chacun de ses crimes prouvait, à leurs yeux, qu’il était pleinement conscient de la différence entre le bien et le mal. Parmi ceux qui examinèrent Vacher se trouvait Alexandre Lacassagne, un professeur de médecine légale de l’Université de Lyon. Il rédigea plus tard un livre, Vacher l’éventreur et les crimes sadiques, dans lequel il comparait ce tueur en série à des personnages tels que Gilles de Rais ou Jack l’Éventreur.
Le 28 octobre 1898, après un procès qui dura, en tout et pour tout, deux jours, Vacher fut condamné à mort. Deux mois plus tard, lors du réveillon du Nouvel An, il fut guillotiné à Bourg-en-Bresse, non loin de là où il avait accompli son service militaire.