La peste noire au XVIIe siècle
La peste bubonique réapparut dans le nord de l’Europe en 1634, avant une offensive plus apocalyptique sur l’ensemble du continent en 1635 et 1636. Une ultime pandémie de cette maladie éclata dans toute l’Europe septentrionale en 1667 et 1668.
Signes annonciateurs
Parmi ceux-ci: fréquence des avortements chez les femmes enceintes, lamentations plaintives entendues dans les cimetières, vision de cortèges funèbres traversant les nuages, jeux des enfants mimant des enterrements.
Mesures préventives
Le « mauvais air » étant tenu pour responsable des épidémies, les autorités urbaines prenaient des mesures telles que : interdiction d’abandonner des ordures et entretenir des tas de fumier en rue, fermeture des portes, expulsion des étrangers et vagabonds, élimination des animaux les plus malsains, particulièrement porcs, chèvres et volatiles, considérés comme les principaux propagateurs de la peste. Prendre des bains, surtout dans les étuves publiques, était jugé suicidaire. En 1513 déjà, le docteur Guillaume Bunel déconseillait en cas de peste: «Estuves et bains, je vous en prie / Fuyés-les, ou vous en mourrés.» La constipation, les excès d’abstinence, d’excitation, de colère, d’exercice ou d’ébriété étaient, pensait-on, des facteurs à risques. On recommandait en outre d’éviter la consommation d’une série d’aliments, tels que poisson, volaille, bœuf, gibier, viande grasse, légumes frais ou concentrés, vivres froids, spongieux ou aqueux. On déconseillait de dormir la journée et de prolonger le sommeil après le lever du soleil ; de coucher dans le lit d’une femme et copuler ; de sortir au petit matin, à cause de la rosée.
En rue, il valait mieux avoir en bouche de la racine d’Angelica ou un clou de girofle. En 1615, le voyageur Philippe de Hurges relève cet « antidote souverain parmy l’air contagieux et corrompu » à Liège : tremper une éponge dans du vinaigre d’ail très fort et la placer dans «une pomme accommodée» pour la sentir. Quant aux bézoards, concrétions calcaires trouvées dans l’estomac de certains animaux, ils passaient pour prémunir de la peste.
Sorciers coupables
Les premiers à être accusés de la propagation étaient des possédés du diable dotés de pouvoirs maléfiques, qui distribuaient des onguents à base de bave de crapauds, de pus, de bubons et de croûtes de plaies pesteuses, le tout mélangé à de la chandelle et de la poix en fonte, comme attesté lors de l’épidémie de 1629- 1630 en Savoie.
Mesures d’enrayement
Les hôpitaux qui accueillaient les malades, comme celui de Canteleu à Lille, étaient vite débordés. Les plus pauvres parmi les contagieux étaient isolés dans des baraquements, en dehors de la ville, abandonnés à leur sort. Les autres devaient quitter la ville pendant quarante jours ou rester « en quarantaine » chez eux, fenêtres et portes fermées. Ils pouvaient toutefois circuler en rue la nuit, avec une verge blanche.
Un ordonnance du prévôt de Paris, datée du 16 novembre 1510, enjoignait de placer à une fenêtre ou à d’autres endroits visibles une botte de paille et de l’y laisser deux mois après que la contagion eut cessé. À partir de 1533, elle fut remplacée par une croix clouée sur les portes, jusqu’à ce que, au XVIIe siècle, l’obligation de barricader complètement celles-ci se généralisât. Dans certaines villes, on signalait l’épidémie par un drap noir pendu au clocher des églises.
Soins dérisoires
Des notes de frais d’apothicaire montrent qu’il fallait d’abord faire suer le malade en lui administrant de la thériaque de Venise, préparation à base de venin de serpent où entrait une soixantaine d’ingrédients, dont de l’huile d’aspic, d’araignée et de scorpion. Ensuite, comme pour les anthrax aujourd’hui, les bubons étaient mûris pour suppurer plus rapidement. Des onguents jetaient un baume sur les plaies et cicatrices pourtant indélébiles. Avaler par cuillerées le pus des furoncles ou les inciser et presser sur la plaie un oignon fut fortement déconseillé. Les médecins ordonnaient aussi de la julepe, potion adoucissante, composée d’eau distillée et de sirop, ainsi que des sudorifiques en forme de bolus (suppositoire). Les pratiques suivantes étaient aussi recommandées: boire son urine le matin ; boire des bouillons à base de poivre moulu, de cannelle et d’épices ; s’exposer au soleil quand on était corpulent ; laisser pendre au plafond un crapaud qui, en desséchant, s’enflait et absorbait le mauvais air, ou appliquer l’animal vivant sur les plaies, jusqu’à ce qu’il meure, car il aspirera le poison à travers la peau, puis le jeter et le remplacer ; maintenir sur la poitrine, dans le même but, une fossette au cœur, boîte finement percée contenant des araignées, ou laisser courir ces bestioles sur le corps, de préférence de grande taille, comme les mouchetées. En cas de délire ou d’inflammation du cerveau, il fallait couper un jeune pigeon ou chiot d’un mois en deux et le compresser encore chaud sur le crâne. Un morceau de pain chaud placé sur les lèvres des mourants était censé absorber le poison qui s’y formait.
Pour approcher les malades, Charles Delorme, médecin de Louis XIII, créa une tenue particulière : le corps était protégé par une longue toge, le visage par un masque aux yeux de cristal et au long nez imbibé de parfum. On imagine l’effroi des malades à cette apparition !
Recours à saint Roch
La dévotion à saint Roch était sans doute considérée comme une thérapeutique plus sûre que la médecine traditionnelle. Le saint naquit à Montpellier vers 1300 et mourut de la peste en 1327, dans les montagnes d’Italie centrale. Selon la légende, lorsqu’il en fut atteint, il vécut en ermite au fond d’une forêt et un chien, sans lequel il serait mort de faim, lui apportait tous les jours un pain volé à la table de son maître, un seigneur voisin. Ce récit a traversé les siècles. Il eut d’autant plus de retentissement qu’il faisait du chien un ami secourable et fidèle à une époque où on craignait les meutes de chiens affamés et qu’on voyait des créatures diaboliques dans les chiens noirs et enragés. Dans la suite, saint Roch ne fut plus seulement invoqué contre la peste noire, mais contre toute maladie contagieuse. Son culte connut au XVIIe siècle une intensité jamais atteinte, comme celle des contagions. Les confréries qui lui étaient dédiées et les messes chantées en son honneur, en temps de peste, furent innombrables. Les statues le représentent habillé en pèlerin, accompagné de son chien fidèle. « C’est saint Roch et son chien » disait-on jadis de deux créatures inséparables. Le saint fut également invoqué par les tailleurs «de roc» pour les prémunir ou les guérir de la silicose ou de la tuberculose.
Trucs de curés
Le carme et célèbre compositeur pour orgue Lambert Chaumont, curé à Huy, suggère aux curés une batterie de mesures de prudence, déjà attestées en France au XVIIe siècle, pour administrer les sacrements aux malades. Pour celui du baptême, «attachez au bout d’un bâton de cinq ou six piez une coquille, ou cüillère [...], avec quoy vous pourrez par une fenestre ou par une porte, sans vous approcher de près et beaucoup de péril, verser l’eau sur la tête de l’enfant...» Pour la confession, le prêtre fera placer un réchaud entre lui et le malade pour brûler l’air contaminé par son haleine. Le plus souvent, dans la pratique, on se limitait à allumer un cierge. Pour l’administration du viatique, Chaumont conseillait de tendre l’hostie au moribond sur une fourchette en argent à double spatule et à long manche. D’autres ecclésiastiques jugeaient plus simple d’emballer l’hostie dans un papier et de le faire parvenir au malade par un assistant, ou encore de la glisser dans un morceau de pain frais et placer le tout à un endroit accessible. Malgré tout, la mortalité des religieux fut considérable, en particulier chez les capucins, qui se dévouèrent corps et âme pour venir en aide aux malades.
Les testaments
La plupart des testaments des pestiférés étaient dictés la nuit à un notaire, en présence de quelques témoins, par une fenêtre ouverte, derrière la porte de la chambre du mourant ou de l’autre côté d’une rivière. Toutefois, en temps d’épidémie, le testament olographe (écrit en entier, signé et daté par le testateur), sans témoin ni notaire, avait pleine valeur. La présence non obligatoire de ce dernier déboucha sur de nombreuses contestations. Ainsi, ceux qui recueillaient les dernières volontés des mourants s’attribuaient parfois l’héritage aux dépens des héritiers légitimes. Si les héritiers désignés venaient à mourir à leur tour, s’engageaient des batailles juridiques qui faisaient l’affaire des avocats. Certaines personnes bien portantes léguaient leurs biens à des religieux pour obtenir, par leurs prières, la grâce d’être épargnés par la maladie; les héritiers, complètement dépossédés, attaquaient ensuite ces ecclésiastiques.
Purification des maisons
Lorsqu’une maison était vide de son ou ses pestiférés, des aéreursou parfumeurs (les renairesses au pays de Liège) s’y enfermaient pour désinfecter les lieux et les meubles par fumigation, après avoir bouché toutes les ouvertures. Ils chauffaient une pierre ou une brique arrosée ensuite de vinaigre, de vin ou d’eau de rose. Ils brûlaient différents mélanges de bois, de cornes de bête, d’ongles, de vieux cuirs, de poils, de feuilles d’arbre et d’herbes odoriférantes, de poudre à canon... Chacun avait sa recette, jalousement gardée ou révélée en échange d’une importante somme d’argent. En guise d’honoraires, ils avaient le droit de revendre à leur profit le mobilier désinfecté et même d’hériter des hardes des disparus, danger qu’ils ne soupçonnaient bien sûr pas.